Je n’ai rien pu dire à personne pendant 10 ans.

6 personnes qui ont développé un cancer de la thyroïde à l’adolescence après l’accident nucléaire poursuivent TEPCO en justice.

27 janvier 2022 à 20h47

Six hommes et femmes âgés de 17 à 27 ans qui vivaient dans le département de Fukushima au moment de l’accident ont lancé le 27 janvier une action en justice contre TEPCO, affirmant qu’ils souffraient d’un cancer de la thyroïde dû à l’exposition aux radiations causées par l’accident survenu à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.
Ils ont déposé une plainte auprès du tribunal du district de Tokyo pour réclamer au total 616 millions de yens de dommages et intérêts. Au cours du procès, le principal point litigieux devrait être de déterminer s’il existe ou non une relation de cause à effet entre l’exposition aux rayonnements et le cancer de la thyroïde.

Les avocats et des plaignants tiennent une conférence de presse.
A la Chambre des représentants à Nagata-chô, Tokyo.

Les six personnes en question, âgées de 6 à 16 ans au moment de l’accident, sont des lycéens, des travailleurs temporaires et des salariés vivant dans les départements de Fukushima, Tokyo et Kanagawa. Deux ont subi l’ablation d’un lobe de la thyroïde, et les quatre autres ont dû subir l’ablation complète de cette glande pour cause de récidive (dans le cas de l’une d’entre elles, des métastases avaient gagné les poumons). Toutes, pour se soumettre à ces interventions chirurgicales et à des traitements médicaux, ont dû arrêter leurs études ou leur activité professionnelle. Elles vivent dans la crainte et l’angoisse d’une récidive, et leur vie quotidienne s’est rétrécie en raison de la fatigue et de la faiblesse causées par la maladie.

La plainte souligne que de nombreux cancers de la thyroïde découverts chez les enfants du département de Fukushima – dont les six plaignants – ne sont pas héréditaires et que le seul élément déclencheur envisageable est l’exposition aux rayonnements. S’il existe d’autres causes, c’est à TEPCO de le prouver, affirme-t-elle.

En temps normal, le nombre de cas reportés de cancers de la thyroïde chez les enfants diagnostiqués est d’environ 1 à 2 pour 1 million. Après l’accident nucléaire, une enquête sanitaire préfectorale effectuée dans le département de Fukushima a permis de déceler sur environ 300 personnes soit une suspicion de cancer de la thyroïde, soit un cancer déjà déclaré. Mais la Commission d’experts nommée par le département a indiqué « ne pas reconnaître pour le moment » de relation causale avec l’exposition aux rayonnements.

De son côté, l’opérateur TEPCO a annoncé qu’il répondrait de bonne foi après en avoir appris davantage sur les réclamations et les allégations des plaignants.

Je veux changer la situation en élevant la voix

« Nous avons passé ces dix dernières années sans rien dire à personne parce que nous avions peur d’être victimes de discrimination si nous révélions que nous avions un cancer de la thyroïde », a déclaré l’une des plaignantes, âgée de 26 ans, lors d’une conférence de presse à Tokyo dans l’après-midi du 27 janvier. « Mais environ 300 enfants souffrent d’un cancer de la thyroïde », a-t-elle déclaré, en luttant contre les larmes qui l’étouffaient. « Je veux améliorer la situation, ne serait-ce qu’un peu, en élevant la voix ».

Cette femme originaire de Nakadôri, dans le centre du département de Fukushima, était étudiante en deuxième année à l’université lorsqu’elle a appris en 2015, à l’âge de 19 ans, qu’elle était atteinte d’un cancer de la thyroïde. L’année suivante, après l’ablation d’un des lobes de sa thyroïde, ses forces physiques ont diminué de façon spectaculaire. Sa santé continuant à se détériorer, elle a quitté, au bout d’un an et demi, l’agence publicitaire où elle travaillait à Tokyo, après avoir obtenu son diplôme universitaire. Elle est actuellement employée de bureau, toujours à Tokyo. Elle déclare : « J’ai dû renoncer au métier de mes rêves, et j’ai encore du mal à faire mon travail correctement. Je n’ai plus de rêves ni d’espoir pour l’avenir ».
Immédiatement après avoir appris qu’elle avait un cancer, elle s’est sentie très mal à l’aise quand le médecin lui a affirmé que cette maladie n’avait rien à voir avec l’accident nucléaire.

Ce jour-là, nous étions en train de déménager des affaires…

La plaignante lors d’une conférence de presse, après sa décision d’intenter
un procès contre TEPCO.

La mère de la jeune femme, présente auprès de la fille quand le diagnostic a été posé, s’est souvenue soudain de ce qu’elles faisaient ce 14 mars 2011, jour de l’explosion d’hydrogène dans l’unité n°3 de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Elles étaient à l’extérieur de la maison des grands-parents, à moitié détruite par le tremblement de terre, pour les aider à déménager leurs affaires. En fin de journée, dès que la mère a entendu parler de l’explosion dans la centrale, elle a fait rentrer sa fille à l’intérieur. « Ce jour-là, je n’aurais pas dû te demander un coup de main pour le déménagement », a murmuré la mère en rentrant de l’hôpital. C’est la seule fois où elle a manifesté un peu de remords pour avoir imposé cette corvée de déménagement à sa fille.

Avant qu’on lui annonce qu’elle avait un cancer, la jeune femme a dû faire de nombreux allers retours entre Fukushima et Tokyo pour subir des examens. Or, le département de Fukushima prend entièrement en charge les frais médicaux couverts par l’assurance maladie, mais pas les frais de transport. Elle prenait donc des bus à longue distance, moins chers que le train à grande vitesse, mais ces déplacements devenaient physiquement de plus en plus éprouvants.

Chirurgie et examens médicaux à Tokyo, une lourde charge financière

Après le diagnostic, en raison de sa méfiance à l’égard des hôpitaux de Fukushima, elle a préféré se faire opérer et subir des examens médicaux à Tokyo. Chaque fois, ses parents l’ont accompagnée. Elle a dû payer de sa poche la totalité des frais de la chirurgie endoscopique destinée à réduire au maximum les cicatrices sur son cou, car celle-ci n’était pas couverte à l’époque par l’aide préfectorale.

Avec toutes les contraintes imposées par son traitement, elle a omis de faire une demande de renouvellement de sa bourse d’études universitaires, et à partir de sa troisième année d’études, elle a dû régler l’ensemble de ses frais de scolarité.

« Lorsque j’ai entendu mes parents parler de prélever une grosse somme sur leur assurance vie pour financer mes frais, je me suis sentie déprimée de leur avoir causé tant de soucis», a-t-elle dit.

Peur de la récidive : « Je suis angoissée pour la suite »

Après l’opération, elle a souvent attrapé des rhumes, développé une pneumonie, une bronchite et de l’asthme. Toutefois, elle ne peut bénéficier d’une aide que si les soins sont reconnus comme faisant partie du traitement contre le cancer de la thyroïde. Le département a mis en place un budget annuel, financé par une subvention de l’État, pour couvrir les frais médicaux « aussi longtemps que possible », selon le Bureau Départemental d’Enquête Sanitaire, mais on ne sait pas exactement combien de temps cela durera. La jeune femme qui a toujours peur d’une récidive, et se sent très angoissée de ce qui lui arrivera à l’avenir, réclame donc un supplément d’aides . (Article signé de Natsuko Katayama)

L’article en Japonais dans Tokyo Shimbun paru le 27 janvier 2022 à 20h47 (heure japonaise)

Le premier article de Natsuko Katayama avec le témoignage d’une autre plaignante est ici.

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