Sonia Marmottant
Le tritium est l’élément radioactif le plus rejeté en fonctionnement dit « normal » par les centrales et autres installations nucléaires dans le monde, et ces rejets sont en forte augmentation. Il est rejeté aussi en grande quantité lors des accidents nucléaires. Les eaux contaminées stockées autour des réacteurs accidentés de Fukushima contiennent surtout du tritium. Le Japon a prévu de rejeter cette eau radioactive dans l’océan Pacifique.
Peut-on faire confiance à l’industrie nucléaire et aux organismes officiels de radioprotection qui considèrent le tritium comme quasi inoffensif ?
I. Qu’est-ce que le tritium ?
Le tritium (T) est une forme radioactive de l’hydrogène[1].
L’hydrogène (H) est un constituant essentiel de la matière, notamment de l’eau (H2O) et des tissus organiques.
Le tritium est actuellement produit soit par le rayonnement cosmique (origine naturelle), soit par les installations nucléaires, qui le rejettent dans l’environnement sous forme d’eau tritiée (HTO), liquide ou gazeuse. Il est très difficile de le piéger et filtrer.
Tous les 12 ans environ, la moitié des atomes de tritium initialement rejetés « transmutent » : ils émettent un rayonnement[2] et deviennent des atomes d’hélium.
II. Notes de lecture tirées du Livre blanc du tritium (recueil publié par l’Autorité de Sûreté Nucléaire en2008[3]) :
1) Origine du tritium :
La majeure partie du tritium actuellement présent sur Terre a été produite lors des essais atomiques atmosphériques, de 1945 à 1963. Actuellement il y aurait encore environ 5 fois[4] plus de tritium issu des essais atomiques que de tritium d’origine naturelle dans l’environnement.
Localement, l’impact des installations nucléaires est plus important que les retombées des essais atomiques. Si le réacteur à fusion ITER était mis en service il utiliserait à lui seul chaque année 6 fois plus de tritium que n’en produit le rayonnement cosmique ! Actuellement, l’installation qui rejette le plus de tritium au monde est l’usine de retraitement de La Hague : elle rejette à elle seule autant de tritium liquide que l’ensemble des réacteurs nucléaires du monde entier[5].
2) Impact sanitaire du tritium
Le tritium est dangereux pour les êtres vivants lorsqu’il est intégré à la matière organique, c’est-à-dire lorsqu’il prend la place d’un atome d’hydrogène stable dans une molécule organique. En effet, le rayonnement émis par le tritium est concentré sur une très courte distance. Il ne passe pas la barrière de la peau mais cause des dommages importants à l’intérieur des cellules, notamment s’il touche l’ADN. Par ailleurs lorsque le tritium incorporé à une molécule organique se transforme en hélium, cela brise les liaisons atomiques et crée des radicaux libres au sein des cellules, qui sont eux-mêmes toxiques.
Les doses calculées selon la méthode classique actuellement en vigueur pourraient conduire à une estimation incorrecte du risque, puisque cette méthode repose sur le concept de dose moyenne à l’organe. Or, lorsque le tritium est incorporé au noyau des cellules, la dose à l’organe est hétérogène : elle est maximale à l’intérieur du noyau des cellules. Le tritium peut causer des dommages multiples à l’ADN. Ces dommages, difficilement réparables, conduisent plus souvent soit à une mutation, soit à la mort de la cellule. Ainsi le tritium est plus dangereux que – par exemple – le Carbone 14 lorsqu’il se trouve dans le noyau cellulaire.
Chez l’adulte comme chez le foetus, l’eau tritiée (HTO) bue ou inhalée est rapidement transférée dans le sang ; 97% restent sous forme HTO, tandis que 3% incorporent les molécules organiques, formant ce qu’on appelle du « tritium organiquement lié » (TOL). Chez la femelle enceinte (études sur animaux), les proportions sont de 90 et 10%.
Il ne faut que quelques secondes pour que 99% du tritium (HTO) inhalé soit retenu dans le corps, où il diffuse en quelques minutes à travers toutes les membranes cellulaires. L’absorption transcutanée du tritium au contact de la peau est équivalente. L’eau tritiée ingérée passe en quelques minutes dans le sang et les divers organes, fluides et tissus du corps.
Chez l’adulte le TOL ingéré passe à 50% dans le sang (le reste est transformé en HTO via la digestion).
Chez l’adulte le TOL est majoritairement incorporé dans les tissus à renouvellement rapide, alors que pour l’embryon il se retrouve dans tous les tissus.
HTO est éliminé en 10 jours environ.
Le TOL, selon la rapidité de renouvellement du composé organique où il se trouve, est éliminé avec une période variant fortement, de 1 à plus de 400 jours[6].
Selon les études, le TOL serait de 2 à 40 000 fois plus nocif que HTO[7]…
Par ailleurs, pour une même dose, une exposition étalée dans le temps pourrait avoir un impact plus important qu’une exposition ponctuelle. Les très faibles doses sont encore plus délétères.
Lors d’une exposition de courte durée, l’incorporation de tritium dans les molécules organiques est faible et l’essentiel de la dose est due à HTO. Dans le cas d’une exposition étalée dans le temps, le pourcentage de TOL dans l’organisme (animal ou plante) augmente jusqu’à 20 à 70% en raison du taux d’élimination plus faible du TOL.
Une corrélation a été montrée entre exposition pendant la grossesse au tritium et augmentation de la mortalité néonatale, des anomalies du système nerveux, du syndrome de Down (trisomie 21).
Il y a affinité du tritium pour les gamètes (femelles en particulier – études chez l’animal), le cerveau, le système vasculaire, cardiovasculaire et respiratoire, le squelette.
3) Contamination de l’environnement par le tritium
Le tritium peut se retrouver dans les molécules organiques à l’occasion de la photosynthèse chez les plantes, de la biosynthèse des molécules chez les animaux, ou lors d’échanges d’hydrogène avec le milieu ambiant.
Pour les plantes, HTO est incorporé en quelques minutes ou heures. La fraction d’hydrogène convertie en matière organique est de 0,06 à 0,3% pour les plants en développement. Au final l’hydrogène représente 5 à 10% de la matière sèche. Fruits et tubercules stockent davantage le TOL que les feuilles.
Pour les bactéries il y a aussi transformation d’HTO en TOL, ce qui expliquerait la prédominance du TOL dans l’environnement, alors que les rejets sont essentiellement en HTO.
4) Exposition au tritium dans l’environnement, le cas des milieux aquatiques.
Des publications anciennes (années 70 et 80)[8] suggèrent que le tritium s’accumule dans certaines chaines alimentaires aquatiques et que l‘exposition liée à la chaine alimentaire est donc plus importante que l’exposition directe à l’eau tritiée.
Au large de Sellafield[9], des concentrations relativement élevées de TOL ont été observées : la faune marine contient 10 à 20 fois plus de tritium (HTO et TOL) que l’eau de mer[10]. Les concentrations sont 10 fois plus élevées dans les poissons que dans les algues, pour lesquelles il semble y avoir peu ou pas de bioaccumulation.
A d’autres endroits, lorsque les rejets des industries sont directement en TOL, les concentrations dans la faune sont jusqu’à plusieurs milliers de fois plus importantes que la concentration dans l’eau environnante (maximum observé : 20 000 fois).
La convention OSPAR[11] recommande de faire tendre les concentrations de particules radioactives vers leurs niveaux naturels[12]. Cependant, comme il n’y a pas de technique économiquement viable pour réduire la présence de tritium dans les rejets liquides provenant des centrales, le tritium est exclu de la convention OSPAR de réduction des rejets.
La concentration maximale en tritium dans l’eau potable recommandée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est de 10000 fois le niveau naturel[13].
En France, à Goury, près de l’usine de retraitement du combustible de la Hague, il a été mesuré dans l’eau de mer une concentration en tritium allant jusqu’à plus de 200 fois le niveau naturel[14]. L’impact de l’usine se fait ressentir sur des centaines de kilomètres le long des côtes de la Manche, au Nord et au Sud du Cotentin, avec une concentration de tritium dans l’eau de mer près de côtes supérieure à 70 fois le niveau naturel[15].
Dans l’eau du Rhône, des mesures ont trouvé une présence de tritium jusqu’à plus de 15 fois supérieure au niveau naturel[16]. La concentration en tritium dans les poissons est 2 à 20 fois plus grande que celle de l’eau. Dans le Delta du Rhône, les moules ont des concentrations en tritium 5 à 100 fois plus grandes que l’eau.
La concentration en tritium du lait de vache est 10 fois plus importante lorsque la contamination est liée à l’herbe que lorsqu’elle vient de l’eau consommée. Le veau allaité est alors 15 fois plus contaminé[17].
Sonia Marmottant, 2023.
[1] Radioactivité du tritium : 358 TBq par gramme (1 Bq = 1 désintégration par seconde ; 1 TBq = mille milliards de becquerels). Demi-vie du tritium = 12,3 ans. En comparaison : Iode 131 : 4600 TBq.g-1 ; Corps humain : 0,1 Bq.g-1 ; Granite : 1 à 4 Bq.g-1.
[2] Ce rayonnement prend la forme de l’émission d’une particule bêta (un électron). Le tritium est un émetteur bêta de faible énergie : contrairement à ce qu’on pourrait croire, son efficacité biologique est plus grande que celle des rayonnements d’énergie supérieure.
[3] http://www.asn.fr/sites/tritium/#90/z
[4] Chiffre actualisé par rapport aux données de 2008.
[5] En 2008, cela représentait 20 000 TBq/an. [En 2021, l’eau contaminée stockée à Fukushima contenait environ 900 TBq de tritium, entre autres radionucléides – NDLR].
[6] Chez l’homme la demi-vie du TOL dans le cartilage des côtes est de 57 ans, et 6 ans pour le sternum.
[7] Livre Blanc du Tritium, p. 252, in « Les effets biologiques et sanitaires du tritium : questions d’actualité » (article collectif) : « L’efficacité biologique du tritium apparaît extrêmement variable selon les composés et les effets étudiés, […] 2 à 104 pour la thymidine tritiée selon les composés étudiés » (§ 2.2) ; « Les résultats disponibles font apparaître une toxicité de la forme liée OBT supérieure à celle de l’eau tritiée : dose engagée au foie deux fois plus élevée après ingestion de nourriture tritiée qu’après consommation d’eau tritiée […], toxicité augmentée d’un facteur 10 à 104 chez les rongeurs quand le tritium est lié à certaines molécules » (§ 3.1). P. 247 in « TOL et noyau de la cellule, un problème encore négligé ? » (Wolfgang-Ulrich Müller, Institut für medizinische Strahlenbiologie, Universitätsklinikum Essen) : « Pour les mêmes activités utilisées, la thymidine tritiée était 1000 fois plus efficace que l’eau tritiée […] et quelques acides aminés plus de 40 000 fois ».
[8] Relativement peu de données sont disponibles, faute d’études !
[9] Royaume-Uni, lieu où se trouve une usine de retraitement des combustibles nucléaires, qui rejette de l’eau tritiée.
[10] La concentration moyenne est de 100 Bq/kg frais. Pour les poissons plats et les moules, la concentration est de 100 à 200 Bq/kg frais.
[11] La Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est ou Convention OSPAR (OSPAR pour « Oslo-Paris ») définit les modalités de la coopération internationale pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du nord-est. Elle est entrée en vigueur le 25 mars 1998. NDLR
[12] Avant les essais atomiques, la concentration en tritium était de 0,6 Bq/l dans l’eau de pluie, de 0,3 à 0,8 Bq/l dans les fleuves, et inférieure à 0,1 Bq/l dans les océans.
[13] Soit 10000 Bq/l.
[14] Soit plus de 20 Bq/l.
[15] Soit plus de 7 Bq/l.
[16] Soit de 2 à 15 Bq/l.
[17] Les pâturages et prés de fauche proches des rivages sont contaminés par différents phénomènes liés au cycle de l’eau. NDLR