L’ordre d’évacuation sera bientôt levé : est-il sans risque d’y vivre ?

Témoignage

Le 31 mars 2023, une partie du village de Tsushima, un des lieux les plus contaminés suite à l’accident de Fukushima Daiichi, va rouvrir au public et surtout aux personnes qui souhaitent y retourner. Pourtant, il n’y a presque aucune infrastructure pour soutenir la vie quotidienne. Dans ce lieu où il n’y a presque personne, des voleurs rôdent. Et surtout, où en est-on avec la radiation et le risque sanitaire ?

Mizue KANNO, qui a été évacuée et qui habite dans le Japon de l’ouest maintenant, décrit la réalité de Tsushima et ce que signifie l’accident nucléaire.

Nous vous présentons ici le premier d’une série de messages de Mizue Kanno que nous allons publier sur la chaîne YouTube: Voix des victimes du nucléaire.

Afin de situer son propos par rapport à la contamination environnementale, voici la vidéo de l’évolution de la contamination radioactive du sol sur 100 ans préparée par Minna-no Data Site, un réseau bénévole de laboratoires de mesure de radioactivité. Ce réseau a publié Atlas citoyen des données de radioactivités sur 17 départements du nord-est du Japon. Un résumé en français, Carte citoyenne de la contamination radioactive du Japon est disponible ici.

La position de village de Tsushima est montrée par la flèche pour le repérer dans la vidéo.

A regarder aussi l’entretien de Bruno Chareyron, directeur du laboratoire de la CRIIRAD, dont l’association Nos Voisins Lointains 3.11 a créé une version courte sur le thème de Fukushima sous-titrée en japonais, grâce à l’accord de Philippe de Rougement de Sortir du Nucléaire Suisse Romande.
Bruno Chareyron parle de la contamination environnementale, de la carte prédictive dont la version vidéo est montrée ci-dessus, et de la politique de retour du gouvernement japonais. Regardez surtout entre 23 min et 30 min.

A regarder également l’interview de Mme Mizue Kanno par Mme Ruiko Muto avec les sous-titres en français dans le cadre du projet Mieruka Fukushima de FoE Japon.

Rejeter du tritium dans l’environnement, est-ce un problème ?

Sonia Marmottant

Le tritium est l’élément radioactif le plus rejeté en fonctionnement dit « normal » par les centrales et autres installations nucléaires dans le monde, et ces rejets sont en forte augmentation. Il est rejeté aussi en grande quantité lors des accidents nucléaires. Les eaux contaminées stockées autour des réacteurs accidentés de Fukushima contiennent surtout du tritium. Le Japon a prévu de rejeter cette eau radioactive dans l’océan Pacifique.

Peut-on faire confiance à l’industrie nucléaire et aux organismes officiels de radioprotection qui considèrent le tritium comme quasi inoffensif ?


I. Qu’est-ce que le tritium ?

Le tritium (T) est une forme radioactive de l’hydrogène[1].

L’hydrogène (H) est un constituant essentiel de la matière, notamment de l’eau (H2O) et des tissus organiques.

Le tritium est actuellement produit soit par le rayonnement cosmique (origine naturelle), soit par les installations nucléaires, qui le rejettent dans l’environnement sous forme d’eau tritiée (HTO), liquide ou gazeuse. Il est très difficile de le piéger et filtrer.

Tous les 12 ans environ, la moitié des atomes de tritium initialement rejetés « transmutent » : ils émettent un rayonnement[2] et deviennent des atomes d’hélium.

II. Notes de lecture tirées du Livre blanc du tritium (recueil publié par l’Autorité de Sûreté Nucléaire en2008[3]) :

1) Origine du tritium :

La majeure partie du tritium actuellement présent sur Terre a été produite lors des essais atomiques atmosphériques, de 1945 à 1963. Actuellement il y aurait encore environ 5 fois[4] plus de tritium issu des essais atomiques que de tritium d’origine naturelle dans l’environnement.

Localement, l’impact des installations nucléaires est plus important que les retombées des essais atomiques. Si le réacteur à fusion ITER était mis en service il utiliserait à lui seul chaque année 6 fois plus de tritium que n’en produit le rayonnement cosmique ! Actuellement, l’installation qui rejette le plus de tritium au monde est l’usine de retraitement de La Hague : elle rejette à elle seule autant de tritium liquide que l’ensemble des réacteurs nucléaires du monde entier[5].

2) Impact sanitaire du tritium

Le tritium est dangereux pour les êtres vivants lorsqu’il est intégré à la matière organique, c’est-à-dire lorsqu’il prend la place d’un atome d’hydrogène stable dans une molécule organique. En effet, le rayonnement émis par le tritium est concentré sur une très courte distance. Il ne passe pas la barrière de la peau mais cause des dommages importants à l’intérieur des cellules, notamment s’il touche l’ADN. Par ailleurs lorsque le tritium incorporé à une molécule organique se transforme en hélium, cela brise les liaisons atomiques et crée des radicaux libres au sein des cellules, qui sont eux-mêmes toxiques.

Les doses calculées selon la méthode classique actuellement en vigueur pourraient conduire à une estimation incorrecte du risque, puisque cette méthode repose sur le concept de dose moyenne à l’organe. Or, lorsque le tritium est incorporé au noyau des cellules, la dose à l’organe est hétérogène : elle est maximale à l’intérieur du noyau des cellules. Le tritium peut causer des dommages multiples à l’ADN. Ces dommages, difficilement réparables, conduisent plus souvent soit à une mutation, soit à la mort de la cellule. Ainsi le tritium est plus dangereux que – par exemple – le Carbone 14 lorsqu’il se trouve dans le noyau cellulaire.

Chez l’adulte comme chez le foetus, l’eau tritiée (HTO)  bue ou inhalée est rapidement transférée dans le sang ; 97% restent sous forme HTO, tandis que 3% incorporent les molécules organiques, formant ce qu’on appelle du « tritium organiquement lié » (TOL). Chez la femelle enceinte (études sur animaux), les proportions sont de 90 et 10%.

Il ne faut que quelques secondes pour que 99% du tritium (HTO) inhalé soit retenu dans le corps, où il diffuse en quelques minutes à travers toutes les membranes cellulaires. L’absorption transcutanée du tritium au contact de la peau est équivalente. L’eau tritiée ingérée passe en quelques minutes dans le sang et les divers organes, fluides et tissus du corps.

Chez l’adulte le TOL ingéré passe à 50% dans le sang (le reste est transformé en HTO via la digestion).

Chez l’adulte le TOL est majoritairement incorporé dans les tissus à renouvellement rapide, alors que pour l’embryon il se retrouve dans tous les tissus.

HTO est éliminé en 10 jours environ.

Le TOL, selon la rapidité de renouvellement du composé organique où il se trouve, est éliminé avec une période variant fortement, de 1 à plus de 400 jours[6].

Selon les études, le TOL serait de 2 à 40 000 fois plus nocif que HTO[7]

Par ailleurs, pour une même dose, une exposition étalée dans le temps pourrait avoir un impact plus important qu’une exposition ponctuelle. Les très faibles doses sont encore plus délétères.

Lors d’une exposition de courte durée, l’incorporation de tritium dans les molécules organiques est faible et l’essentiel de la dose est due à HTO. Dans le cas d’une exposition étalée dans le temps, le pourcentage de TOL dans l’organisme (animal ou plante) augmente jusqu’à 20 à 70% en raison du taux d’élimination plus faible du TOL.

Une corrélation a été montrée entre exposition pendant la grossesse au tritium et augmentation de la mortalité néonatale, des anomalies du système nerveux, du syndrome de Down (trisomie 21).

Il y a affinité du tritium pour les gamètes (femelles en particulier – études chez l’animal), le cerveau, le système vasculaire, cardiovasculaire et respiratoire, le squelette.

3) Contamination de l’environnement par le tritium

Le tritium peut se retrouver dans les molécules organiques à l’occasion de la photosynthèse chez les plantes, de la biosynthèse des molécules chez les animaux, ou lors d’échanges d’hydrogène avec le milieu ambiant.

Pour les plantes, HTO est incorporé en quelques minutes ou heures. La fraction d’hydrogène convertie en matière organique est de 0,06 à 0,3% pour les plants en développement. Au final l’hydrogène représente 5 à 10% de la matière sèche. Fruits et tubercules stockent davantage le TOL que les feuilles.

Pour les bactéries il y a aussi transformation d’HTO en TOL, ce qui expliquerait la prédominance du TOL dans l’environnement, alors que les rejets sont essentiellement en HTO.

4) Exposition au tritium dans l’environnement, le cas des milieux aquatiques.

Des publications anciennes (années 70 et 80)[8] suggèrent que le tritium s’accumule dans certaines chaines alimentaires aquatiques et que l‘exposition liée à la chaine alimentaire est donc plus importante que l’exposition directe à l’eau tritiée.

Au large de Sellafield[9], des concentrations relativement élevées de TOL ont été observées : la faune marine contient 10 à 20 fois plus de tritium (HTO et TOL) que l’eau de mer[10]. Les concentrations sont 10 fois plus élevées dans les poissons que dans les algues, pour lesquelles il semble y avoir peu ou pas de bioaccumulation.

A d’autres endroits, lorsque les rejets des industries sont directement en TOL, les concentrations dans la faune sont jusqu’à plusieurs milliers de fois plus importantes que la concentration dans l’eau environnante (maximum observé : 20 000 fois).

La convention OSPAR[11] recommande de faire tendre les concentrations de particules radioactives vers leurs niveaux naturels[12]. Cependant, comme il n’y a pas de technique économiquement viable pour réduire la présence de tritium dans les rejets liquides provenant des centrales, le tritium est exclu de la convention OSPAR de réduction des rejets.

La concentration maximale en tritium dans l’eau potable recommandée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est de 10000 fois le niveau naturel[13].

En France, à Goury, près de l’usine de retraitement du combustible de la Hague, il a été mesuré dans l’eau de mer une concentration en tritium allant jusqu’à plus de 200 fois le niveau naturel[14]. L’impact de l’usine se fait ressentir sur des centaines de kilomètres le long des côtes de la Manche, au Nord et au Sud du Cotentin, avec une concentration de tritium dans l’eau de mer près de côtes supérieure à 70 fois le niveau naturel[15].

Dans l’eau du Rhône, des mesures ont trouvé une présence de tritium jusqu’à plus de 15 fois supérieure au niveau naturel[16]. La concentration en tritium dans les poissons est 2 à 20 fois plus grande que celle de l’eau. Dans le Delta du Rhône, les moules ont des concentrations en tritium 5 à 100 fois plus grandes que l’eau.

La concentration en tritium du lait de vache est 10 fois plus importante lorsque la contamination est liée à l’herbe que lorsqu’elle vient de l’eau consommée. Le veau allaité est alors 15 fois plus contaminé[17].

Sonia Marmottant, 2023.


[1] Radioactivité du tritium : 358 TBq par gramme (1 Bq = 1 désintégration par seconde ; 1 TBq = mille milliards de becquerels). Demi-vie du tritium = 12,3 ans. En comparaison : Iode 131 : 4600 TBq.g-1 ; Corps humain : 0,1 Bq.g-1 ; Granite : 1 à 4 Bq.g-1.

[2] Ce rayonnement prend la forme de l’émission d’une particule bêta (un électron). Le tritium est un émetteur bêta de faible énergie : contrairement à ce qu’on pourrait croire, son efficacité biologique est plus grande que celle des rayonnements d’énergie supérieure.

[3] http://www.asn.fr/sites/tritium/#90/z

[4] Chiffre actualisé par rapport aux données de 2008.

[5] En 2008, cela représentait 20 000 TBq/an. [En 2021, l’eau contaminée stockée à Fukushima contenait environ 900 TBq de tritium, entre autres radionucléides – NDLR].

[6] Chez l’homme la demi-vie du TOL dans le cartilage des côtes est de 57 ans, et 6 ans pour le sternum.

[7] Livre Blanc du Tritium, p. 252, in « Les effets biologiques et sanitaires du tritium : questions d’actualité » (article collectif) : « L’efficacité biologique du tritium apparaît extrêmement variable selon les composés et les effets étudiés, […] 2 à 104 pour la thymidine tritiée selon les composés étudiés » (§ 2.2) ; « Les résultats disponibles font apparaître une toxicité de la forme liée OBT supérieure à celle de l’eau tritiée : dose engagée au foie deux fois plus élevée après ingestion de nourriture tritiée qu’après consommation d’eau tritiée […], toxicité augmentée d’un facteur 10 à 104 chez les rongeurs quand le tritium est lié à certaines molécules » (§ 3.1). P. 247 in « TOL et noyau de la cellule, un problème encore négligé ? » (Wolfgang-Ulrich Müller, Institut für medizinische Strahlenbiologie, Universitätsklinikum Essen) : « Pour les mêmes activités utilisées, la thymidine tritiée était 1000 fois plus efficace que l’eau tritiée […] et quelques acides aminés plus de 40 000 fois ».

[8] Relativement peu de données sont disponibles, faute d’études !

[9] Royaume-Uni, lieu où se trouve une usine de retraitement des combustibles nucléaires, qui rejette de l’eau tritiée.

[10] La concentration moyenne est de 100 Bq/kg frais. Pour les poissons plats et les moules, la concentration est de 100 à 200 Bq/kg frais.

[11] La Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est ou Convention OSPAR (OSPAR pour « Oslo-Paris ») définit les modalités de la coopération internationale pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du nord-est. Elle est entrée en vigueur le 25 mars 1998. NDLR

[12] Avant les essais atomiques, la concentration en tritium était de 0,6 Bq/l dans l’eau de pluie, de 0,3 à 0,8 Bq/l dans les fleuves, et inférieure à 0,1 Bq/l dans les océans.

[13] Soit 10000 Bq/l.

[14] Soit plus de 20 Bq/l.

[15] Soit plus de 7 Bq/l.

[16] Soit de 2 à 15 Bq/l.

[17] Les pâturages et prés de fauche proches des rivages sont contaminés par différents phénomènes liés au cycle de l’eau. NDLR

Free Download: Fukushima 3.11

Graphic history in English, French and German
Histoire graphique en français, anglais et allemand

Français

Les pages de cette bande dessinée sont parues dans le n°15 de la revue TOPO (janvier/février 2019). Elles ont été réalisées à partir du témoignage de Suguru Yokota, recueilli dans le cadre du projet de recherche « DILEM » du CNRS.

Suguru, le garçon qui avait 15 ans lorsqu’il fut interviewé pour la première fois, est originaire de la ville de Koriyama, qui se situe en dehors des zones d’évacuation par l’ordre. Les déplacé-e-s de ces territoires sont appelés les « évacué-e-s volontaires » ou « auto-évacué-e-s » par rapport aux évacué-e-s forcé-e-s, et sont souvent les cibles de critiques et de brimades, puisqu’ils ont osé prendre la décision de partir, alors que le gouvernement n’avait pas donné l’ordre d’évacuer.

English

This graphic story was first published in the magazine TOPO, No.15 (Jan/Feb 2019). It is based on the story of Suguru, collected in a research project of the French National Centre for Scientific Research. This graphic novel is presented by the NGO Nos Voisins Lointains 3.11 (Our Distant Neighbors 3.11) based in Grenoble, France, which promotes cooperation with victims of the Fukushima Daiichi nuclear accident.

Suguru, the boy who was 15 years old when he was first interviewed, is from Koriyama town, which is outside the mandatory evacuation zones. The evacuees from these territories are called “voluntary evacuees” or “auto-evacuees” in comparison with the forced evacuees, and are often the targets of criticism and bullying, since they have dared make the decision to leave, even though the government had not given them an evacuation order.

Deutsch

Die Seiten dieses Comics erschienen in der Nr. 15 der Zeitschrift TOPO (Januar/Februar 2019).

Sie wurden anhand der Zeugenaussage von Suguru Yokota realisiert, die im Rahmen des Forschungsprojekts « DILEM »des CNRS gesammelt worden war. Dieser Comic wird von dem Verein « Nos Voisins Lointains 3.11 » zur Verfügung gestellt, der Kooperationen mit Opfern des Atomunfalls in Fukushima Daiichi unterstützt.

Message from Ruiko MUTO

Yosomono-Net, Worldwide anti-nuke association of Japanese people living abroad and their sympathizers, publishes here the message of Ruiko Muto, anti-nuclear activist from Fukushima and Representative of plaintiffs in the TEPCO criminal trial against three ex-executives of TEPCO.

Message de Ruiko MUTO

Comme chaque année au mois de mars, Yosomono-Net, Réseau international de ressortissants japonais pour la sortie du nucléaire, publie ici le message de Ruiko Muto, militante anti-nucléaire de Fukushima et déléguée de la partie plaignante au procès pénal intenté contre trois ex-dirigeants de TEPCO.

Voix des victimes du nucléaire:

Notre nouvelle chaîne YouTube

Où sont les voix des victimes du nucléaire ? Cela devient de plus en plus difficile de les entendre. Dans le déni des conséquences néfastes des usines atomiques, on tente, par exemple, de réduire les dégâts des accidents nucléaires et plus généralement le risque nucléaire au seul nombre de morts.
Dans le contexte de la relance du nucléaire en France et au Japon, il nous semble important de revenir sur le terrain et d’écouter les voix des victimes.
Dans cette série, l’association Nos Voisins Lointains 3.11 propose de diffuser leurs voix avec les sous-titres en français. Nous ne nous limitons pas aux victimes de l’accident nucléaire de Fukushima, mais nous allons présenter plus largement les paroles des victimes de tous usages nucléaires, militaires ou civils.
Nous espérons que le courage et la persévérance de ces personnes permettront de porter au loin les voix de Cassandre perçant la malédiction de la puissante industrie nucléaire et des pouvoirs politiques qui la soutiennent.

Le premier message vidéo est celui d’Akiko MORIMATSU.
Suite au grand tremblement de terre et à la catastrophe nucléaire de Fukushima, elle s’est déplacée de Fukushima à Osaka avec ses deux enfants âgés de 5 mois et 3 ans, laissant son mari qui avait décidé de continuer à travailler à Fukushima.
Elle est coprésidente de la coordination nationale des groupes de plaignants des procès intentés par des victimes de l’accident nucléaire de Fukushima, et représentante du groupe de plaignants dans la région métropolitaine d’Osaka. Elle donne des conférences au Japon et à l’étranger pour défendre les droits des victimes d’accidents nucléaires.
En 2018, elle a fait un discours au Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève.

Voici la transcription des sous-titres:

Bonjour
Je m’appelle Akiko MORIMATSU.

Le grand tremblement de terre du 11 mars 2011 à l’est du Japon a été suivi de l’accident nucléaire de TEPCO Fukushima Daiichi.
Que nous est-il arrivé à nous, habitant-e-s de Fukushima? Quels dommages ont subis les habitant-e-s proches de la centrale ? J’aimerais vous en parler de manière concrète.

Le 11 mars 2011, j’habitais Koriyama, ville du département de Fukushima, située à environ 60km de la centrale de Fukushima Daiichi. Nous étions quatre. Moi, mon mari et deux enfants. Une fille de 5 mois et un garçon de 3 ans.

Avant tout j’aimerais vous dire que, quand l’accident nucléaire survient, quel que soit notre âge et notre sexe, que nous soyons pour ou contre le nucléaire, toutes et tous, nous sommes confronté-e-s au problème de l’exposition à la radioactivité.
Les radiations sont invisibles et incolores. On ne sent ni douleur ni picotements sur la peau. Et il y a la question de l’exposition aux radiations à faible dose. A une distance importante, vous êtes exposé-e à de faibles doses de radiations. Outre que les radiations ne peuvent être perçues par les sens, les gens ne meurent pas instantanément.

Dans ce contexte, nous, habitant à 60km de la centrale, nous avons perdu notre foyer suite au grand tremblement de terre, puis après cette catastrophe naturelle, nous avons subi un désastre d’origine humaine : l’accident nucléaire.
Bien entendu, nous n’avons pas entendu les explosions de la centrale nucléaire, ni vu directement les bâtiments de la centrale endommagés. Nous avons appris l’accident seulement à travers les actualités à la télé. A part ça, il n’y avait aucun moyen de savoir qu’un accident avec les explosions a eu lieu. Aucun moyen de savoir la situation exacte de la centrale de Fukushima Daiichi, ni à quelle quantité de radiations nous allions être exposé-e-s. Nous ne savions pas quelle quantité de radiations nous devions subir. Car ni les autorités de l’État ni l’opérateur TEPCO n’ont diffusé les informations nécessaires et précises. Nous, les habitant-e-s près de la centrale, nous avons dû prendre beaucoup de décisions dans cette ignorance.

Je vais vous parler de la chose la plus difficile que j’aie eue à faire, dans ces 12 dernières années depuis l’accident. Suite aux explosions de la centrale nucléaire, nous étions bien au courant des explosion… Mais nous qui étions à 60 km de la centrale, nous n’avons pas été évacué-e-s par force. A part l’ordre d’évacuation, il y avait aussi l’ordre de confinement. Progressivement, dans un rayon de 2 km, puis de 3 km autour de la centrale nucléaire, la population a été évacuée par force. La zone circulaire d’évacuation s’est étendue progressivement. Et de 20 à 30 km de la centrale, il y a eu l’ordre de confinement, de rester enfermé chez soi. C’était l’ordre donné par le gouvernement. Mais nous, à 60 km, n’avons pas reçu l’ordre de confinement. Nous n’avons pas été évacué-e-s non plus. Nous avons été laissé-e-s à notre sort sans aucune protection.

Dans cette situation, j’ai appris par la télé que l’eau du robinet, l’eau potable, était contaminée. La première information que j’ai eue, concernait l’eau du robinet de Kanamachi à Tokyo. On avait trouvé des substances radioactives dans ces eaux. C’était aux actualités télévisées.
La station de traitement des eaux de Kanamachi était à 200 km de la centrale de Fukushima Daiichi. Nous étions seulement à 60 km de la centrale. Dans le rayon de 200 km, la radioactivité a augmenté, et avec la pluie des substances radioactives ont contaminé l’eau potable. Puisque l’eau du robinet à 200km de la centrale était contaminée, l’eau à 60km devait être forcément contaminée. Nous avons donc appris la contamination radioactive de nos eaux potables à travers les informations télévisées.

Jusque-là, on savait que des matières radioactives s’étaient dispersées, mais à 60km, on n’a eu ordre ni d’évacuer ni de se confiner. On a eu des déclarations répétées du Cabinet du premier ministre, disant qu’il n’y aurait pas d’impact immédiat sur la santé. La question de l’exposition était bien dans nos préoccupations. Mais quand j’ai su que l’eau de Tokyo était contaminée, et que l’eau de Fukushima l’était aussi, j’ai réalisé que je buvais de l’eau radioactive à mon insu. Mais, même après avoir appris ce fait, j’ai dû continuer à boire cette eau. Et mes deux enfants de 5 mois et 3 ans aussi. Ma fille de 5 mois s’accrochait à la vie grâce au lait maternel, d’une mère qui buvait de l’eau contaminée.

Nous avons aussi appris par les journaux télévisés, qu’il y avait eu des retombées radioactives énormes dans Fukushima et aux alentours, que les expéditions de légumes à feuilles étaient suspendues, que les agriculteurs allaient perdre leur moyen de subsistance, et qu’il y avait eu des suicides d’agriculteurs désespérés. Ils avaient perdu tout espoir dans l’avenir de leur métier. Tout cela, nous l’avons appris par la télé.
Nous avons ainsi appris qu’il y avait réellement contamination radioactive. J’ai appris que les éleveurs avaient trait le lait des vaches, mais comme l’expédition n’était plus possible, ils avaient dû déverser le lait dans les champs.
En tant que mère allaitant à Fukushima, j’ai pensé que nous étions aussi mammifères comme les vaches. Nous, humains, étions aussi exposés à des doses élevées de radioactivité dans l’air, et nous avons dû boire de l’eau du robinet, tout en sachant qu’elle était polluée.
J’ai entendu parler de la concentration biologique. Le lait était encore plus radioactif que l’eau. C’était pour cela que le lait devait être jeté. Or, moi, qui buvais de l’eau radioactive, j’allaitais ma fille de 5 mois, et mon lait concentrait la radioactivité.

Je ne voulais pas être moi-même exposée aux radiations, et bien sûr, je ne voulais pas que mon enfant de 5 mois soit exposé aux radiations. Mais nous étions totalement privées du droit de choisir. Surtout, un bébé ne peut pas dire qu’il ne veut pas boire de lait maternel parce qu’il est contaminé. Mon enfant de 3 ans m’apportait un verre quand il avait soif, en disant « maman, donne-moi un verre d’eau ». Tout en sachant que l’eau du robinet était contaminée, j’ai été obligée de lui donner cette eau.

Telle est l’expérience que j’ai vécue.
La volonté d’éviter l’exposition, le droit d’éviter l’exposition, ce sont des droits fondamentaux pour protéger la vie. Leur violation est le plus grave de tous les dommages causés par l’accident nucléaire. Je pense que ce problème devrait être au cœur du débat sur le nucléaire.

Je ne suis pas seule à avoir donné de l’eau empoisonnée à mes enfants. Beaucoup de personnes vivant dans cette région touchée par la catastrophe nucléaire ont eu les mêmes expériences.
Pour éviter de reproduire ces expériences et pour définir la politique de radioprotection, je voudrais que vous réfléchissiez tous ensemble aux dommages réels causés par un accident nucléaire, en commençant par savoir si vous pouvez boire de l’eau contaminée par la radioactivité. Je pense que cela mènerait naturellement à une conclusion.

Le dommage le plus grave que j’ai subi suite à l’accident nucléaire est d’avoir été soumise à une exposition aux radiations non choisie et qui était évitable.
C’est le dommage le plus grave sur lequel je souhaite vivement attirer votre attention.

Voices of Nuclear Victims

Our new YouTube channel

Where are the voices of nuclear victims? It is becoming increasingly difficult to hear them. In denial of the harmful consequences of atomic plants, there is an attempt, for example, to reduce the damages of nuclear accidents and more generally the nuclear risk to the mere number of deaths.

In the context of the revival of nuclear power in France and Japan, it seems important to us to return to the field and listen to the voices of the victims.

In this series, the NGO Nos Voisins Lointains 3.11 (Our Faraway Neighbours 3.11) proposes to broadcast their voices with English subtitles. We are not presenting only the voices of the Fukushima nuclear accident victims, but also more widely the words of the victims of all nuclear uses, military or civil.

We hope that the courage and perseverance of these people will allow the voices of Cassandra to be heard far and wide, piercing the curse of the powerful nuclear industry and the political powers that support it.

The first video message is from Akiko MORIMATSU.
Following the Great Earthquake and nuclear disaster in Fukushima, Akiko Morimatsu moved from Fukushima to Osaka with her two children aged 5 months and 3 years, leaving her husband who decided to continue working in Fukushima.
She is the co-chair of the national coordination of the plaintiffs’ groups of the lawsuits filed by victims of the Fukushima nuclear accident, and the representative of the plaintiffs’ group in the Osaka metropolitan area. She lectures in Japan and abroad to defend the rights of nuclear accident victims.
In 2018, she gave a speech at the United Nations Human Rights Council in Geneva.

Here is the transcription of the subtitles:

Hello

My name is Akiko MORIMATSU.
The Great East Japan Earthquake of March 11, 2011 was followed by the TEPCO Fukushima Daiichi nuclear accident.
What happened to us, the residents of Fukushima?
What damage did the people living near the plant suffer?
I would like to tell you about it in a concrete way.

On March 11, 2011, I was living in Koriyama, a town in Fukushima Prefecture, located about 60 km from the Fukushima Daiichi plant. There were four of us. Me, my husband and two children. A 5-month-old girl and a 3-year-old boy.
First of all, I would like to tell you that when a nuclear accident occurs, regardless of our age or sex, whether we are for or against nuclear power, we are all confronted with the problem of exposure to radioactivity.

Radiation is invisible and colourless. There is no pain or tingling on the skin.
And there is the issue of low-dose radiation exposure. At a great distance, you are exposed to low doses of radiation. Besides the fact that radiation cannot be perceived by the senses, people do not die instantly.

In this context, we, living 60km from the plant, lost our home in the Great Earthquake, and then after this natural disaster, we suffered a man-made disaster: the nuclear accident.
Of course, we did not hear the explosions at the nuclear power plant, nor did we see the damaged plant buildings directly. We only learned about the accident through the news on TV. Apart from that, there was no way to know that an accident with explosions took place. There was no way of knowing the exact situation of the Fukushima Daiichi plant, nor how much radiation we would be exposed to. We didn’t know how much radiation we had to endure, because neither the state authorities nor the operator TEPCO provided accurate information. We, the people living near the plant, had to make many decisions in this ignorance.

I’m going to tell you about the most difficult thing I have had to do in the last 12 years since the accident. After the explosions at the nuclear power plant, we were well aware of the explosions… But we, who were 60 km away from the plant, were not evacuated by force. Apart from the evacuation order, there was also a confinement order. Gradually, within a radius of 2 km, then 3 km around the nuclear power plant, the population was forcibly evacuated. The circular mandatory evacuation zone gradually expanded. And from 20 to 30 km from the power plant, there was the order to stay indoors. That was the order given by the government. But we, 60 km away, did not receive the confinement order. We were not evacuated either. We were left on our own without any protection.

In this situation, I learned from the TV that the tap water, the drinking water, was contaminated. The first information I got was about the tap water in Kanamachi in Tokyo. They had found radioactive substances in the water. It was on a television program.
The Kanamachi water treatment plant was 200 km from the Fukushima Daiichi plant. We were only 60 km from the plant. Within the 200 km radius, the radioactivity increased, and with the rain radioactive substances contaminated the drinking water. Since the tap water at 200 km from the plant was contaminated, the water at 60 km had to be contaminated without any doubt. So, we learned about the radioactive contamination of our drinking water from the TV news.

Up to that point, it was known that radioactive material had been dispersed, but at 60km, there were no orders to evacuate or to stay indoors. There were repeated statements from the Prime Minister’s Office that there would be no immediate impact on health. The issue of exposure was indeed on our minds. But when I found out that the water in Tokyo was contaminated, and that the water in Fukushima was also contaminated, I realised that I was unknowingly drinking radioactive water. But even after learning this fact, I had to continue drinking the water. And so did my two children, aged 5 months and 3 years. My 5-month-old daughter was clinging to life through breast milk from a mother who was drinking contaminated water.

We also heard on the news that there had been a huge radioactive fallout in and around Fukushima, that shipments of leafy vegetables had been suspended, that farmers were going to lose their livelihoods, and that there had been suicides of desperate farmers. They had lost all hope in the future of their profession. All this we heard on TV.

So, we learned that there really was radioactive contamination. I learned that the farmers had milked the cows, but since shipping was no longer possible, they had to dump the milk in the fields.
As a nursing mother in Fukushima, I thought that we were also mammals like the cows. We humans were also exposed to high doses of radioactivity in the air, and we had to drink tap water, knowing that it was polluted.
I heard about the biological concentration. Milk was even more radioactive than water. That’s why the milk had to be thrown away. Yet I was drinking radioactive water, I was breastfeeding my 5-month-old daughter, and my milk concentrated the radioactivity.

I didn’t want to be exposed to radiation myself, and of course I didn’t want my five-month-old child to be exposed to radiation. But we were totally denied the right to choose to refuse exposure. Above all, a baby can’t say she doesn’t want to drink breast milk because it is contaminated. My three-year-old son brought me a glass when he was thirsty, saying « mummy, give me a glass of water ». Knowing that the tap water was contaminated, I was obliged to give him this water.

This is my experience.
The will to avoid exposure, the right to avoid exposure, are fundamental rights to protect life. Their violation is the most serious of all the damages caused by the nuclear accident. I think this issue should be at the heart of the nuclear debate.

I am not the only one who gave poisoned water to our children. Many people living in the area affected by the nuclear disaster had the same experience.
In order to avoid repeating these experiences and to improve the radioprotection policy, I would like you all to think together about the real damage caused by a nuclear accident, starting with whether you can drink radio-contaminated water. I think that this would naturally lead to a certain conclusion.

The most serious damage I suffered from the nuclear accident was that I was subjected to radiation exposure that was not chosen and was avoidable.
This is the most serious damage to which I would strongly like to draw your attention.