Un cas d’école de Namie, Fukushima
Évacuation, qu’en est-il en France ?
La France est l’un des pays les plus nucléarisés du monde, et le numéro un en termes de part du nucléaire dans la production d’électricité. Alors, il est compréhensible qu’on parle souvent de la possibilité d’un accident nucléaire en France, et même d’un accident majeur, et de se préparer à l’éventualité.
Pourtant, sait-on vraiment ce qu’évacuer signifie concrètement ?
Au Japon, même sous forme très incomplète, il existe des exercices d’évacuation en vue d’une urgence nucléaire. Il est cependant vrai que ni le plan d’évacuation ni les exercices ne sont très réalistes.
Ainsi que nous allons le voir dans le témoignage de Mizue Kanno, l’évacuation de Fukushima s’est déroulée dans des conditions invraisemblables.
Dans les situations de catastrophe, rien ne se passe comme prévu.
Au contraire….
Un jour, ça sera peut-être à notre tour, ici en France. En cas d’un accident majeur, allons-nous évacuer sans encombre?
Cela nous semble difficile.
Plus fondamentalement, cela vaut-il la peine d’avoir des installations nucléaires compte tenu des expériences déchirantes vécues par les victimes telles que Mme Mizue Kanno ?
Tragédie de la population de Namie
Le sort des populations de Namie est particulièrement bouleversant. La région côtière de Namie a été dévastée par le tsunami. Les sapeurs-pompiers ainsi que les familles n’ont pas pu secourir les victimes du tremblement de terre et du tsunami qui sont restées sous des décombres dans la zone d’exclusion établie suite à l’accident nucléaire (voir le récit de Mizue Kanno vol 1).
Lors d’évacuation, que la municipalité a décidé de sa propre initiative en absence totale d’information de la part du gouvernement central et du département, la population a suivi la direction de la masse d’air radioactive. Elle aurait pu partir dans d’autres directions si l’information leur avait été communiquée sur le mouvement du panache radioactif, et notamment sur la direction du vent. Ainsi, beaucoup d’habitant-e-s de la région côtière de Namie se sont retrouvé-e-s dans des lieux encore plus contaminés par la radioactivité que leurs points de départ.
Nous présentons ici le deuxième témoignage de Mizue Kanno, ex-habitante de Namie dans le département de Fukushima, qui était à son travail à 4 km de la centrale de Fukushima Daiichi le jour fatal du 11 mars 2011. Le jour même, elle a pu retourner à sa maison à Tsushima, à 27 km à vol d’oiseau de la centrale de Fukushima Daiichi. Son récit des jours qui suivaient est époustouflant.


« Furusato Tsushima » saigo no sugata wo drone kûei eizô de nokoshitai

Google Maps street view
Voici la deuxième vidéo de témoignage de Mizue Kanno.
La transcription se trouve après la vidéo.
Il existe d’autres messages vidéo sous-titrés en français, en anglais et en allemand. N’hésitez pas à visiter notre chaîne YouTube et à vous abonner!

Je m’appelle Mizue Kanno.
Je me trouvais dans la commune de Namie, au comté de Futaba, dans le département de Fukushima, lorsque l’accident de la centrale nucléaire s’est produit le 11 mars 2011.
Je travaillais à seulement 4 kilomètres de la centrale nucléaire, mais je ne m’étais jamais préoccupée de son existence si près de mon travail.
En février 2011, TEPCO a organisé une réunion d’information à l’intention des résidents.
À cette occasion, TEPCO a déclaré que la centrale pouvait résister à n’importe quelle catastrophe, que les centrales nucléaires ne provoquaient pas de cancer.
TEPCO a également déclaré qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, car une personne sur sept dans ce pays est aujourd’hui atteinte d’un cancer de toute façon.
Tout en écoutant, je me disais que si, le risque de cancer devrait sûrement exister.
Mais quand une si grande entreprise a affirmé qu’elle avait l’équipement nécessaire pour résister à n’importe quel désastre, j’ai commis l’imprudence de la croire.
C’était un tremblement de terre vraiment effrayant.
Quand le tremblement de terre s’est calmé, j’ai pris le chemin de la maison. Il m’a fallu 3 heures pour rentrer chez moi sur une route qui prend normalement 45 minutes.
Le lendemain matin, le 12, de nombreuses voitures se trouvaient dans notre région.
A nous, riverains de la municipalité voisine de la centrale nucléaire, aucune information n’a été donnée sur l’accident nucléaire qui se produisait. Toutefois, la municipalité était plus ou moins au courant de la situation à la centrale, car les personnes qui y travaillaient prenaient contact avec elle.
Cependant, ni TEPCO, ni le gouvernement national ni le département n’ont communiqué sur l’accident nucléaire. Toutefois, la municipalité a estimé qu’il s’agissait d’une situation dangereuse et a ordonné l’évacuation vers une région plus éloignée, à plus de 20 km du centre-ville.
Ainsi, les gens affluaient dans notre secteur, où en temps normal, il n’y avait qu’environ 500 personnes. Nous avons accueilli dans notre maison 25 personnes : parents, amis de parents et connaissances d’amis. 25 personnes, dont de parfaits inconnus, ont pris refuge dans notre maison.
Nous avons entendu une forte explosion, mais la télévision n’a pas diffusé d’informations.
On sentait un goût métallique, comme si on léchait un papier d’aluminium. On a aussi éprouvé des picotements douloureuses.
J’ai pensé qu’il s’était passé quelque chose, mais la télévision ne nous a rien dit.
Puis, le 12 au soir, les rues étaient remplies de voitures garées des deux côtés de la route parce qu’il n’y avait plus de place dans l’abri. Puis une voiture s’est arrêtée et j’ai entendu des gens crier à l’intérieur. Mais c’était impossible de comprendre. Ils portaient des masques à gaz et des vêtements de protection. Je n’avais jamais vu de tels équipements. Je suis allée jusqu’à la voiture, j’ai frappé à la porte et dit que je ne pouvais pas entendre.
« Pourquoi restez-vous dans en endroit comme ici ? » ont-ils dit.
Voyant passer beaucoup de monde, les deux personnes sont sorties précipitamment de la voiture.
« S’il vous plaît, fuyez, c’est dangereux ici. »
« Fuyez en direction de la ville de Fukushima, à plus de 30 km de la centrale ».
Ils pleuraient.
Je leur ai dit que nous étions à 27 km de la centrale. Alors, ils étaient très surpris, et ils m’ont dit de fuir plus loin. Quand je leur ai dit qu’il y avait beaucoup de monde parce qu’un abri s’y trouvait, ils ont été surpris et ont couru dans la direction de l’abri.
Je me suis précipitée dans la maison et j’ai appelé ma cousine. Mais quand nous sommes revenues sur la route, la voiture avait déjà disparu. Je pensais qu’ils étaient partis ailleurs pour transmettre le même message. Je n’ai même pas demandé d’où ils venaient, ni qui ils étaient.
Et c’est vraiment dommage. Je regrette encore de ne pas leur avoir demandé d’où ils venaient et comment ils savaient tout cela.
J’ai demandé aux refugié-e-s de la maison de s’enfuir.
C’était le moment où beaucoup de personnes très vulnérables étaient arrivées dans notre coin après avoir été évacuées d’hôpitaux et d’institutions pour les personnes âgées. Il nous semblait impossible de nous enfuir en les laissant derrière. Nous devrions rester ici pour assurer l’approvisionnement en nourriture de l’abri jusqu’à ce que la dernière personne soit partie. Après avoir discuté ainsi avec mon fils, nous sommes restés sur place.
Le 14, une explosion beaucoup plus forte a retenti.
Dans la commune où toute activité humaine avait cessé, le bruit de l’explosion de la centrale nucléaire a résonné comme s’il s’agissait de la fin du monde.
Un voisin avait dit que c’était sans doute la première fois depuis l’époque féodale qu’une telle absence de bruits humains était ressentie.
Une explosion extrêmement forte a été entendue dans la commune où il n’y avait plus aucun bruit d’origine humaine. Je me suis dit : « Oh, nous allons mourir ici. »
J’ai immédiatement allumé la télévision, mais aucunes informations n’étaient données sur la situation. Soudain, on voyait une image de la mer et le présentateur disait qu’un tsunami était en train d’arriver et qu’il fallait évacuer immédiatement. « L’hélicoptère a repéré un tsunami », a dit le présentateur.
Je me suis demandée pourquoi il y avait un tsunami alors qu’il n’y avait pas eu de tremblement de terre.
Je me suis dite que quelqu’un cachait quelque chose. Sinon, le bruit de l’explosion était inexplicable.
Ainsi, nous, les habitant-e-s de la région côtière de Fukushima, étions les seul-e-s à ne pas avoir vu l’image de l’explosion.
Mon ami qui est allé en voiture à la gare TGV de Tokyo pour évacuer son enfant a vu l’image dans la salle d’attente de la gare de Tokyo. Il travaillait dans l’industrie nucléaires, et a compris la gravité de la situation. Il a donc embarqué sa fille dans un TGV vers la région métropolitaine d’Osaka, puis il est retourné dans le département de Fukushima et a évacué toute la famille dans la région d’Osaka.
Aussi, ma connaissance qui travaillait à la centrale nucléaire, se trouvait alors à Aizu, dans la région montagneuse la plus reculée du département de Fukushima.
« Les employés fuient la centrale nucléaire », a-t-il dit. « Je me suis donc dit qu’il s’agissait d’une situation très grave, et puisque j’avais un congé le lendemain, je me suis enfui plus loin avec la famille. »
Dans la matinée du 15 mars, la municipalité a lancé un appel à l’évacuation de toute la municipalité. On nous a dit que nous serions évacué-e-s d’ici vers la ville voisine, qu’il fallait monter dans le bus d’évacuation. On a reçu l’information à 8 h du matin pour évacuer la municipalité entière à 10 h.
Nous avons décidé d’évacuer chez des membres de notre famille à Osaka.
Il n’y avait pas assez d’essence pour la voiture de 3 000 cm3. Nous avons donc opté pour la voiture de 1000 cm3. On a vidé l’essence du motoculteur pour la remettre dans la voiture. Nous avons préparé de la place pour la chienne, et puis nous sommes partis.
Et sur le chemin de l’évacuation, on a appris par la radio qu’il n’était pas possible de quitter le département sans avoir passé le dépistage. A la ville de Koriyama, j’ai dû patienter 3 heures dans une file d’attente avant d’être contrôlée.
Lorsque nous avons quitté la maison de Tsushima, il y avait du blizzard. Nous sommes montés dans la voiture et nous sommes partis, trempés par la neige.
Lorsque j’ai enfin pu entrer après 3 heures de queue, j’ai vu partout des hommes se recroqueviller, vomir et s’effondrer en se serrant la poitrine. Les hommes semblaient plus mal en point que les femmes.
Et quand ce fut mon tour, d’un seul coup, l’aiguille du compteur Geiger est sortie de l’échelle. A ce jour, la limite supérieure était fixée aux 100 000 cpm (coups par minute). Je ne savais pas ce que signifiait que l’aiguille sorte de l’échelle de 100 000 cpm.
L’actualité du 13 mars nous a appris que la limite supérieure des compteurs Geiger était de 13 000 cpm.
Mais je ne savais pas que la valeur maximum des compteurs Geiger a été
augmentée à 100 000 cpm depuis le 14 mars, parce qu’on a vu chez beaucoup trop de personnes que leur dose dépassait la limite de 13 000 ppm. Les médias n’en ont absolument pas parlé.
Ils m’ont mesuré la tête, les épaules, les paumes. Mes paumes devaient être contaminées forcément, parce que je touchais mes cheveux.
Comme le compteur ne pouvait pas mesurer au-delà de 100 000 cpm, je n’ai pas pu savoir à quel point j’avais été contaminée, c’est-à-dire exposée aux radiations.
Ma veste a été confisquée.
Mais, ils me l’ont remise dans un sac en plastique très épais en me disant qu’elle serait bonne pour le lavage au bout d’une semaine, et qu’il ne fallait pas l’ouvrir avant.
Il y avait une coupure d’eau dans toute la région à cause du tremblement de terre. Normalement, nous devions prendre une douche et être soumis à un frottis nasal, c’est-à-dire un examen des muqueuses du nez pour déterminer le niveau d’exposition interne aux radiations, puis être soumis à une décontamination, mais tout cela n’a pas été fait à cause de la coupure d’eau.
Et puis nous avons évacué.