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Où sont les voix des victimes du nucléaire ? Cela devient de plus en plus difficile de les entendre. Dans le déni des conséquences néfastes des usines atomiques, on tente, par exemple, de réduire les dégâts des accidents nucléaires et plus généralement le risque nucléaire au seul nombre de morts.
Dans le contexte de la relance du nucléaire en France et au Japon, il nous semble important de revenir sur le terrain et d’écouter les voix des victimes.
Dans cette série, l’association Nos Voisins Lointains 3.11 propose de diffuser leurs voix avec les sous-titres en français. Nous ne nous limitons pas aux victimes de l’accident nucléaire de Fukushima, mais nous allons présenter plus largement les paroles des victimes de tous usages nucléaires, militaires ou civils.
Nous espérons que le courage et la persévérance de ces personnes permettront de porter au loin les voix de Cassandre perçant la malédiction de la puissante industrie nucléaire et des pouvoirs politiques qui la soutiennent.
Le premier message vidéo est celui d’Akiko MORIMATSU.
Suite au grand tremblement de terre et à la catastrophe nucléaire de Fukushima, elle s’est déplacée de Fukushima à Osaka avec ses deux enfants âgés de 5 mois et 3 ans, laissant son mari qui avait décidé de continuer à travailler à Fukushima.
Elle est coprésidente de la coordination nationale des groupes de plaignants des procès intentés par des victimes de l’accident nucléaire de Fukushima, et représentante du groupe de plaignants dans la région métropolitaine d’Osaka. Elle donne des conférences au Japon et à l’étranger pour défendre les droits des victimes d’accidents nucléaires.
En 2018, elle a fait un discours au Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève.
Voici la transcription des sous-titres:
Bonjour
Je m’appelle Akiko MORIMATSU.
Le grand tremblement de terre du 11 mars 2011 à l’est du Japon a été suivi de l’accident nucléaire de TEPCO Fukushima Daiichi.
Que nous est-il arrivé à nous, habitant-e-s de Fukushima? Quels dommages ont subis les habitant-e-s proches de la centrale ? J’aimerais vous en parler de manière concrète.
Le 11 mars 2011, j’habitais Koriyama, ville du département de Fukushima, située à environ 60km de la centrale de Fukushima Daiichi. Nous étions quatre. Moi, mon mari et deux enfants. Une fille de 5 mois et un garçon de 3 ans.
Avant tout j’aimerais vous dire que, quand l’accident nucléaire survient, quel que soit notre âge et notre sexe, que nous soyons pour ou contre le nucléaire, toutes et tous, nous sommes confronté-e-s au problème de l’exposition à la radioactivité.
Les radiations sont invisibles et incolores. On ne sent ni douleur ni picotements sur la peau. Et il y a la question de l’exposition aux radiations à faible dose. A une distance importante, vous êtes exposé-e à de faibles doses de radiations. Outre que les radiations ne peuvent être perçues par les sens, les gens ne meurent pas instantanément.
Dans ce contexte, nous, habitant à 60km de la centrale, nous avons perdu notre foyer suite au grand tremblement de terre, puis après cette catastrophe naturelle, nous avons subi un désastre d’origine humaine : l’accident nucléaire.
Bien entendu, nous n’avons pas entendu les explosions de la centrale nucléaire, ni vu directement les bâtiments de la centrale endommagés. Nous avons appris l’accident seulement à travers les actualités à la télé. A part ça, il n’y avait aucun moyen de savoir qu’un accident avec les explosions a eu lieu. Aucun moyen de savoir la situation exacte de la centrale de Fukushima Daiichi, ni à quelle quantité de radiations nous allions être exposé-e-s. Nous ne savions pas quelle quantité de radiations nous devions subir. Car ni les autorités de l’État ni l’opérateur TEPCO n’ont diffusé les informations nécessaires et précises. Nous, les habitant-e-s près de la centrale, nous avons dû prendre beaucoup de décisions dans cette ignorance.
Je vais vous parler de la chose la plus difficile que j’aie eue à faire, dans ces 12 dernières années depuis l’accident. Suite aux explosions de la centrale nucléaire, nous étions bien au courant des explosion… Mais nous qui étions à 60 km de la centrale, nous n’avons pas été évacué-e-s par force. A part l’ordre d’évacuation, il y avait aussi l’ordre de confinement. Progressivement, dans un rayon de 2 km, puis de 3 km autour de la centrale nucléaire, la population a été évacuée par force. La zone circulaire d’évacuation s’est étendue progressivement. Et de 20 à 30 km de la centrale, il y a eu l’ordre de confinement, de rester enfermé chez soi. C’était l’ordre donné par le gouvernement. Mais nous, à 60 km, n’avons pas reçu l’ordre de confinement. Nous n’avons pas été évacué-e-s non plus. Nous avons été laissé-e-s à notre sort sans aucune protection.
Dans cette situation, j’ai appris par la télé que l’eau du robinet, l’eau potable, était contaminée. La première information que j’ai eue, concernait l’eau du robinet de Kanamachi à Tokyo. On avait trouvé des substances radioactives dans ces eaux. C’était aux actualités télévisées.
La station de traitement des eaux de Kanamachi était à 200 km de la centrale de Fukushima Daiichi. Nous étions seulement à 60 km de la centrale. Dans le rayon de 200 km, la radioactivité a augmenté, et avec la pluie des substances radioactives ont contaminé l’eau potable. Puisque l’eau du robinet à 200km de la centrale était contaminée, l’eau à 60km devait être forcément contaminée. Nous avons donc appris la contamination radioactive de nos eaux potables à travers les informations télévisées.
Jusque-là, on savait que des matières radioactives s’étaient dispersées, mais à 60km, on n’a eu ordre ni d’évacuer ni de se confiner. On a eu des déclarations répétées du Cabinet du premier ministre, disant qu’il n’y aurait pas d’impact immédiat sur la santé. La question de l’exposition était bien dans nos préoccupations. Mais quand j’ai su que l’eau de Tokyo était contaminée, et que l’eau de Fukushima l’était aussi, j’ai réalisé que je buvais de l’eau radioactive à mon insu. Mais, même après avoir appris ce fait, j’ai dû continuer à boire cette eau. Et mes deux enfants de 5 mois et 3 ans aussi. Ma fille de 5 mois s’accrochait à la vie grâce au lait maternel, d’une mère qui buvait de l’eau contaminée.
Nous avons aussi appris par les journaux télévisés, qu’il y avait eu des retombées radioactives énormes dans Fukushima et aux alentours, que les expéditions de légumes à feuilles étaient suspendues, que les agriculteurs allaient perdre leur moyen de subsistance, et qu’il y avait eu des suicides d’agriculteurs désespérés. Ils avaient perdu tout espoir dans l’avenir de leur métier. Tout cela, nous l’avons appris par la télé.
Nous avons ainsi appris qu’il y avait réellement contamination radioactive. J’ai appris que les éleveurs avaient trait le lait des vaches, mais comme l’expédition n’était plus possible, ils avaient dû déverser le lait dans les champs.
En tant que mère allaitant à Fukushima, j’ai pensé que nous étions aussi mammifères comme les vaches. Nous, humains, étions aussi exposés à des doses élevées de radioactivité dans l’air, et nous avons dû boire de l’eau du robinet, tout en sachant qu’elle était polluée.
J’ai entendu parler de la concentration biologique. Le lait était encore plus radioactif que l’eau. C’était pour cela que le lait devait être jeté. Or, moi, qui buvais de l’eau radioactive, j’allaitais ma fille de 5 mois, et mon lait concentrait la radioactivité.
Je ne voulais pas être moi-même exposée aux radiations, et bien sûr, je ne voulais pas que mon enfant de 5 mois soit exposé aux radiations. Mais nous étions totalement privées du droit de choisir. Surtout, un bébé ne peut pas dire qu’il ne veut pas boire de lait maternel parce qu’il est contaminé. Mon enfant de 3 ans m’apportait un verre quand il avait soif, en disant « maman, donne-moi un verre d’eau ». Tout en sachant que l’eau du robinet était contaminée, j’ai été obligée de lui donner cette eau.
Telle est l’expérience que j’ai vécue.
La volonté d’éviter l’exposition, le droit d’éviter l’exposition, ce sont des droits fondamentaux pour protéger la vie. Leur violation est le plus grave de tous les dommages causés par l’accident nucléaire. Je pense que ce problème devrait être au cœur du débat sur le nucléaire.
Je ne suis pas seule à avoir donné de l’eau empoisonnée à mes enfants. Beaucoup de personnes vivant dans cette région touchée par la catastrophe nucléaire ont eu les mêmes expériences.
Pour éviter de reproduire ces expériences et pour définir la politique de radioprotection, je voudrais que vous réfléchissiez tous ensemble aux dommages réels causés par un accident nucléaire, en commençant par savoir si vous pouvez boire de l’eau contaminée par la radioactivité. Je pense que cela mènerait naturellement à une conclusion.
Le dommage le plus grave que j’ai subi suite à l’accident nucléaire est d’avoir été soumise à une exposition aux radiations non choisie et qui était évitable.
C’est le dommage le plus grave sur lequel je souhaite vivement attirer votre attention.