L’Évacuation : ce que cela signifie concrètement

Un cas d’école de Namie, Fukushima

Évacuation, qu’en est-il en France ?

La France est l’un des pays les plus nucléarisés du monde, et le numéro un en termes de part du nucléaire dans la production d’électricité. Alors, il est compréhensible qu’on parle souvent de la possibilité d’un accident nucléaire en France, et même d’un accident majeur, et de se préparer à l’éventualité.

Pourtant, sait-on vraiment ce qu’évacuer signifie concrètement ?

Au Japon, même sous forme très incomplète, il existe des exercices d’évacuation en vue d’une urgence nucléaire. Il est cependant vrai que ni le plan d’évacuation ni les exercices ne sont très réalistes.
Ainsi que nous allons le voir dans le témoignage de Mizue Kanno, l’évacuation de Fukushima s’est déroulée dans des conditions invraisemblables.

Dans les situations de catastrophe, rien ne se passe comme prévu.
Au contraire….
Un jour, ça sera peut-être à notre tour, ici en France. En cas d’un accident majeur, allons-nous évacuer sans encombre?
Cela nous semble difficile.

Plus fondamentalement, cela vaut-il la peine d’avoir des installations nucléaires compte tenu des expériences déchirantes vécues par les victimes telles que Mme Mizue Kanno ?

Tragédie de la population de Namie

Le sort des populations de Namie est particulièrement bouleversant. La région côtière de Namie a été dévastée par le tsunami. Les sapeurs-pompiers ainsi que les familles n’ont pas pu secourir les victimes du tremblement de terre et du tsunami qui sont restées sous des décombres dans la zone d’exclusion établie suite à l’accident nucléaire (voir le récit de Mizue Kanno vol 1).

Lors d’évacuation, que la municipalité a décidé de sa propre initiative en absence totale d’information de la part du gouvernement central et du département, la population a suivi la direction de la masse d’air radioactive. Elle aurait pu partir dans d’autres directions si l’information leur avait été communiquée sur le mouvement du panache radioactif, et notamment sur la direction du vent. Ainsi, beaucoup d’habitant-e-s de la région côtière de Namie se sont retrouvé-e-s dans des lieux encore plus contaminés par la radioactivité que leurs points de départ.

Nous présentons ici le deuxième témoignage de Mizue Kanno, ex-habitante de Namie dans le département de Fukushima, qui était à son travail à 4 km de la centrale de Fukushima Daiichi le jour fatal du 11 mars 2011. Le jour même, elle a pu retourner à sa maison à Tsushima, à 27 km à vol d’oiseau de la centrale de Fukushima Daiichi. Son récit des jours qui suivaient est époustouflant.

Vue d’ensemble

Tsuchima. Crédit: Appel à l’action du crowdfunding
« Furusato Tsushima » saigo no sugata wo drone kûei eizô de nokoshitai

La porte d’entrée de la maison de la famille Kanno à Tsushima.
Google Maps street view

Voici la deuxième vidéo de témoignage de Mizue Kanno.
La transcription se trouve après la vidéo.

Il existe d’autres messages vidéo sous-titrés en français, en anglais et en allemand. N’hésitez pas à visiter notre chaîne YouTube et à vous abonner!

Je m’appelle Mizue Kanno.

Je me trouvais dans la commune de Namie, au comté de Futaba, dans le département de Fukushima, lorsque l’accident de la centrale nucléaire s’est produit le 11 mars 2011.

Je travaillais à seulement 4 kilomètres de la centrale nucléaire, mais je ne m’étais jamais préoccupée de son existence si près de mon travail.

En février 2011, TEPCO a organisé une réunion d’information à l’intention des résidents.

À cette occasion, TEPCO a déclaré que la centrale pouvait résister à n’importe quelle catastrophe, que les centrales nucléaires ne provoquaient pas de cancer.

TEPCO a également déclaré qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, car une personne sur sept dans ce pays est aujourd’hui atteinte d’un cancer de toute façon.

Tout en écoutant, je me disais que si, le risque de cancer devrait sûrement exister.

Mais quand une si grande entreprise a affirmé qu’elle avait l’équipement nécessaire pour résister à n’importe quel désastre, j’ai commis l’imprudence de la croire.

C’était un tremblement de terre vraiment effrayant.

Quand le tremblement de terre s’est calmé, j’ai pris le chemin de la maison. Il m’a fallu 3 heures pour rentrer chez moi sur une route qui prend normalement 45 minutes.

Le lendemain matin, le 12, de nombreuses voitures se trouvaient dans notre région.

A nous, riverains de la municipalité voisine de la centrale nucléaire, aucune information n’a été donnée sur l’accident nucléaire qui se produisait. Toutefois, la municipalité était plus ou moins au courant de la situation à la centrale, car les personnes qui y travaillaient prenaient contact avec elle.

Cependant, ni TEPCO, ni le gouvernement national ni le département n’ont communiqué sur l’accident nucléaire. Toutefois, la municipalité a estimé qu’il s’agissait d’une situation dangereuse et a ordonné l’évacuation vers une région plus éloignée, à plus de 20 km du centre-ville.

Ainsi, les gens affluaient dans notre secteur, où en temps normal, il n’y avait qu’environ 500 personnes. Nous avons accueilli dans notre maison 25 personnes : parents, amis de parents et connaissances d’amis. 25 personnes, dont de parfaits inconnus, ont pris refuge dans notre maison.

Nous avons entendu une forte explosion, mais la télévision n’a pas diffusé d’informations.

On sentait un goût métallique, comme si on léchait un papier d’aluminium. On a aussi éprouvé des picotements douloureuses.

J’ai pensé qu’il s’était passé quelque chose, mais la télévision ne nous a rien dit.

Puis, le 12 au soir, les rues étaient remplies de voitures garées des deux côtés de la route parce qu’il n’y avait plus de place dans l’abri. Puis une voiture s’est arrêtée et j’ai entendu des gens crier à l’intérieur. Mais c’était impossible de comprendre. Ils portaient des masques à gaz et des vêtements de protection.  Je n’avais jamais vu de tels équipements. Je suis allée jusqu’à la voiture, j’ai frappé à la porte et dit que je ne pouvais pas entendre.

« Pourquoi restez-vous dans en endroit comme ici ? » ont-ils dit.
Voyant passer beaucoup de monde, les deux personnes sont sorties précipitamment de la voiture.
« S’il vous plaît, fuyez, c’est dangereux ici. » 
« Fuyez en direction de la ville de Fukushima, à plus de 30 km de la centrale ».
Ils pleuraient.

Je leur ai dit que nous étions à 27 km de la centrale. Alors, ils étaient très surpris, et ils m’ont dit de fuir plus loin. Quand je leur ai dit qu’il y avait beaucoup de monde parce qu’un abri s’y trouvait, ils ont été surpris et ont couru dans la direction de l’abri.

Je me suis précipitée dans la maison et j’ai appelé ma cousine. Mais quand nous sommes revenues sur la route, la voiture avait déjà disparu. Je pensais qu’ils étaient partis ailleurs pour transmettre le même message. Je n’ai même pas demandé d’où ils venaient, ni qui ils étaient.

Et c’est vraiment dommage. Je regrette encore de ne pas leur avoir demandé d’où ils venaient et comment ils savaient tout cela.

J’ai demandé aux refugié-e-s de la maison de s’enfuir.

C’était le moment où beaucoup de personnes très vulnérables étaient arrivées dans notre coin après avoir été évacuées d’hôpitaux et d’institutions pour les personnes âgées. Il nous semblait impossible de nous enfuir en les laissant derrière. Nous devrions rester ici pour assurer l’approvisionnement en nourriture de l’abri jusqu’à ce que la dernière personne soit partie. Après avoir discuté ainsi avec mon fils, nous sommes restés sur place.

Le 14, une explosion beaucoup plus forte a retenti.

Dans la commune où toute activité humaine avait cessé, le bruit de l’explosion de la centrale nucléaire a résonné comme s’il s’agissait de la fin du monde.

Un voisin avait dit que c’était sans doute la première fois depuis l’époque féodale qu’une telle absence de bruits humains était ressentie.

Une explosion extrêmement forte a été entendue dans la commune où il n’y avait plus aucun bruit d’origine humaine. Je me suis dit : « Oh, nous allons mourir ici. »

J’ai immédiatement allumé la télévision, mais aucunes informations n’étaient données sur la situation. Soudain, on voyait une image de la mer et le présentateur disait qu’un tsunami était en train d’arriver et qu’il fallait évacuer immédiatement. « L’hélicoptère a repéré un tsunami », a dit le présentateur.

Je me suis demandée pourquoi il y avait un tsunami alors qu’il n’y avait pas eu de tremblement de terre.

Je me suis dite que quelqu’un cachait quelque chose. Sinon, le bruit de l’explosion était inexplicable.

Ainsi, nous, les habitant-e-s de la région côtière de Fukushima, étions les seul-e-s à ne pas avoir vu l’image de l’explosion.

Mon ami qui est allé en voiture à la gare TGV de Tokyo pour évacuer son enfant a vu l’image dans la salle d’attente de la gare de Tokyo. Il travaillait dans l’industrie nucléaires, et a compris la gravité de la situation. Il a donc embarqué sa fille dans un TGV vers la région métropolitaine d’Osaka, puis il est retourné dans le département de Fukushima et a évacué toute la famille dans la région d’Osaka.

Aussi, ma connaissance qui travaillait à la centrale nucléaire, se trouvait alors à Aizu, dans la région montagneuse la plus reculée du département de Fukushima.

« Les employés fuient la centrale nucléaire », a-t-il dit. « Je me suis donc dit qu’il s’agissait d’une situation très grave, et puisque j’avais un congé le lendemain, je me suis enfui plus loin avec la famille. »

Dans la matinée du 15 mars, la municipalité a lancé un appel à l’évacuation de toute la municipalité. On nous a dit que nous serions évacué-e-s d’ici vers la ville voisine, qu’il fallait monter dans le bus d’évacuation. On a reçu l’information à 8 h du matin pour évacuer la municipalité entière à 10 h.

Nous avons décidé d’évacuer chez des membres de notre famille à Osaka.

Il n’y avait pas assez d’essence pour la voiture de 3 000 cm3. Nous avons donc opté pour la voiture de 1000 cm3. On a vidé l’essence du motoculteur pour la remettre dans la voiture. Nous avons préparé de la place pour la chienne, et puis nous sommes partis.

Et sur le chemin de l’évacuation, on a appris par la radio qu’il n’était pas possible de quitter le département sans avoir passé le dépistage. A la ville de Koriyama, j’ai dû patienter 3 heures dans une file d’attente avant d’être contrôlée.

Lorsque nous avons quitté la maison de Tsushima, il y avait du blizzard. Nous sommes montés dans la voiture et nous sommes partis, trempés par la neige.

Lorsque j’ai enfin pu entrer après 3 heures de queue, j’ai vu partout des hommes se recroqueviller, vomir et s’effondrer en se serrant la poitrine. Les hommes semblaient plus mal en point que les femmes.

Et quand ce fut mon tour, d’un seul coup, l’aiguille du compteur Geiger est sortie de l’échelle. A ce jour, la limite supérieure était fixée aux 100 000 cpm (coups par minute). Je ne savais pas ce que signifiait que l’aiguille sorte de l’échelle de 100 000 cpm.

L’actualité du 13 mars nous a appris que la limite supérieure des compteurs Geiger était de 13 000 cpm.

Mais je ne savais pas que la valeur maximum des compteurs Geiger a été
augmentée à 100 000 cpm depuis le 14 mars, parce qu’on a vu chez beaucoup trop de personnes que leur dose dépassait la limite de 13 000 ppm. Les médias n’en ont absolument pas parlé.

Ils m’ont mesuré la tête, les épaules, les paumes. Mes paumes devaient être contaminées forcément, parce que je touchais mes cheveux.

Comme le compteur ne pouvait pas mesurer au-delà de 100 000 cpm, je n’ai pas pu savoir à quel point j’avais été contaminée, c’est-à-dire exposée aux radiations.

Ma veste a été confisquée.

Mais, ils me l’ont remise dans un sac en plastique très épais en me disant qu’elle serait bonne pour le lavage au bout d’une semaine, et qu’il ne fallait pas l’ouvrir avant.

Il y avait une coupure d’eau dans toute la région à cause du tremblement de terre. Normalement, nous devions prendre une douche et être soumis à un frottis nasal, c’est-à-dire un examen des muqueuses du nez pour déterminer le niveau d’exposition interne aux radiations, puis être soumis à une décontamination, mais tout cela n’a pas été fait à cause de la coupure d’eau.

Et puis nous avons évacué.

Is Tokyo safe from health risks?

Testimony of a Tokyo mother who fled to western Japan after the Fukushima nuclear accident

Yoko Shimosawa was living with her family of four in Tokyo when the nuclear accident occurred. She knew absolutely nothing about nuclear power, and after the accident, she started to do her own research. In the meantime, her 5-year-old daughter, who was full of energy, began to feel ill. She became weak and unable to lead a normal life.

That’s when she met a doctor. He was a clinician who was concerned about radiation exposure in the Tokyo metropolitan area. He was performing blood tests on his patients. On his advice, she and her family evacuated and moved from Tokyo to Kobe in western Japan in 2014. A month later, her daughter’s health miraculously recovered. The clinician also moved from Tokyo to western Japan, so the family continues to receive medical checkups and necessary treatments every six months.


She agreed to participate in this filmed testimony project in order to bring to light the reality of health hazards in Tokyo due to radioactive fallout from the ongoing Fukushima Daiichi nuclear accident.

In order to contextualize Yoko Shimosawa’s testimony, we can look here at the air dispersion of Iodine-131 between March 11 and 31, 2011. The simulation below, quoted from an appendix of the UNSCEAR 2013 report, concerns only the air dispersion of Iodine-131. However, other radioactive substances as well as toxic chemicals have been dissipated from the Fukushima Daiichi nuclear plant. To date, we still do not have a complete list of the toxic substances released.

Source: Attachment for UNSCEAR 2013 Report Vol. I

Here is the 14 min video of her testimony with English subtitles.

You can watch other videos with English and German subtitles also in our YouTube channel Voices of Nuclear Victims.

Hello, my name is Yoko Shimosawa.
12 years ago, a nuclear accident occurred in Japan. I am one of the evacuees following this accident. I want to share my experiences and what I have learned with as many people as possible, including those overseas.

I left Tokyo, the capital of Japan, and moved to Kobe, in the west of the country, 3 years after the accident, 8… no 9 years ago. Why in the west, because there is no or very little radioactive elements from the accident in the soil and in the living environment. This information is not shared with everyone.

Look at this. The Japanese government is not analyzing the contamination of the land at all, but… In Japan, citizens are mobilizing on a large scale, and there is a book like this one that compiles the data collected by 4000 people. There is also an English version, so please consult it.

So, you see the map of Japan here. I have never seen this map in the newspapers or on television.
The contamination extends throughout the east of Japan. This was the situation in 2011, at the time of March 11. This is very serious, for each of these sample collection points must be white in color. But the white spots are located on the Sea of Japan side, and there are very few in the east of the country. The places in yellow and colors above are contaminated to 100 becquerels per kg or more. This is the level of contamination that must be strictly controlled by confining the material in the yellow drums, if it were on the site of the nuclear plants.

Tokyo is around here. I fled from this place.
At the beginning, I was very ignorant and did not understand what was so scary and what all the fuss was about. Because the government and the experts said there was nothing to worry about. No worries! At least there is no problem in Tokyo, they said. For me, the nuclear accident started slowly.

When the accident happened, I had a 5-year-old daughter who loved to play outside and was full of energy. Three years after the accident, my daughter began to say frequently that she was not feeling well. She started to suffer from symptoms that I didn’t understand, such as pains in her hands and feet, pains all over her body, and chills. And it only got worse. When she was in such a state that she could not do anything else but lie down limply, I met Dr. Shigeru MITA, who was working on the issue of radiation exposure in the Tokyo metropolitan area. He told me about moving to avoid the radiation, and that started the whole thing. Several years ago, we fled to Kobe, in western Japan, and a month later, our daughter’s health miraculously recovered!

What was the situation in Tokyo? This is the Tokyo metropolis. This is a map from 2011. Each point is a soil sampling point. It should be white, as I said before, but the white places are really rare. The inhabitants of Tokyo were forced to live with a radioactive waste contamination of more than 100 becquerels per kg. There is very heavy pollution to the east, as you can see.

There are health controls related to ionizing radiation. If you were a health care professional, you would know that when we study the effects of radiation on the body, we first look at the blood: white blood cells, red blood cells and platelets.

There was only one doctor who performed the tests thinking that there might be an impact because radioactive material had fallen on Tokyo. It was Dr. Shigeru MITA.
In 2011, he collected data from residents throughout the Tokyo metropolitan region, asking them to take this type of test. He collected data on approximately 1200 patients during 2012.

Here are the results of the research.
These are white blood cells and neutrophils, categorized by age group, 1-5 years, 6-15 years, and 16 years and older. There is a clear decrease in white blood cells. Among them, neutrophils are very clearly and severely diminished. Compared to the 2011 values, just after the accident, the values are reduced to about 60%. This level remains unchanged to this day. Current figures show that neutrophils in children in the Tokyo metropolitan area are only about 60% of their pre-accident level. But this information is not shared or even verified or discussed in today’s Japan. My daughter’s values were also very low.

The places where children with abnormalities lived in the aftermath of the accident were limited to highly contaminated areas. That is, between 2011 and 2012. Then they spread to the west of the region. I lived here. My daughter’s values, measured in 2014, were also very low.

Since our move to avoid radioactive exposure, my daughter’s neutrophil and white blood cell values have continued to improve. We are having a medical check-up every 6 months since we moved to Kobe.

So, the medical check-up related to the exposure took place at the Mita Clinic, where many patients came from the Tokyo metropolitan area. There are people who have been doing check-ups for a long time. Why can’t they get this medical examination in Tokyo?
When we talk about the effects of radiation in Tokyo, we are not taken seriously at all. In hospitals, doctors laugh at us, make fun of us or get angry at us. Some people have no choice but to travel from Tokyo to Okayama to be examined at the Mita Clinic.

During medical examinations, I learned that about 5 years after the beginning of the accident, the number of very sick patients had increased. The syndrome corresponds to the so-called « dawdling » disease following the Hiroshima-Nagasaki atomic bomb. Why « dawdling « ? Because these people are considered lazy. Lack of strength, lack of motivation, then lack of memory, or weakening of the immune system. These are symptoms of general malaise. This is a phenomenon common to all people who have been exposed to radiation, for example nuclear workers or people exposed to depleted uranium shells in Iraq. But until now, no one other than Dr. Mita had studied it to identify the cause.

He looked at the head. He checked the hormones in the pituitary gland. He found that the associated hormones in the pituitary gland of symptomatic individuals tend to be very low.
One of them, cortisol, a source of energy, shows a clear decline in symptomatic people. On top, you see the distribution of people without diminished capacity syndrome; below, you see that of people with diminished capacity syndrome. The distribution pattern is completely different. My daughter’s cortisol value is also very low.
But even people with diminished capacity syndrome can lead a normal life by taking the cortisol-supporting medication. There are about 100 people with this condition. In fact, my daughter sometimes gets this treatment. She’s doing well, but she needs that hormonal support from time to time.

I have met many evacuees since I have been here. From Tokyo where I lived, and from the whole Tokyo metropolitan area. And of course, from northeast Japan and Fukushima. I know many people who had to flee because of the widespread health damage, without any compensation.

The government told us that there would be no immediate health risk. But the impact was pretty immediate, and I think we were the ones who realized it. But we are dealing with radioactivity. So, I think that it will just get worse from now on.
It is certain that we are not safe from health hazards. Because the radioactive substances, which are said to be 168 times greater than in Hiroshima and Nagasaki, have been dispersed. The basic assumption should be that there are health risks. But the government does not perform any medical checks, tests or verification.

Instead, there is propaganda that radiation is safe. A national campaign was launched to denounce that talking about radiation risks is an obstacle to reconstruction, that it is a discriminatory practice towards the population of Fukushima, etc.
To say that radiation is safe makes it completely impossible to protect people from what is called internal radiation exposure. The environment has been contaminated. We must consider, not the external exposure, but the exposure that comes from inside our body as a result of integration of radioactive substances by inhalation, ingestion and through the skin.
That’s what’s hidden. We are made not to see them. The eyes are blindfolded. But blindfolds do not make this problem go away. The absorbed radioactive substances that damage our bodies, and those of our children, do not disappear simply because we do not know about them. But if you repeat a lie a hundred times, it becomes a truth. However, we cannot erase the reality.

As a victim of the accident, I want to denounce this situation. The essence of what is happening… The essence of a nuclear accident is health hazards. We do not want to accept it.

What is being done on a large scale in time and space is nothing less than a violation of human rights. I did not and do not live under nuclear power plants to promote the atom.

I would like to get in touch with people from all over the world, and those who have been exposed to radiation, and to denounce this internal exposure and its health hazards. And we want to get our lives back. I want to be in touch with you.

Thank you for listening.

Tokyo est-il à l’abri de risques sanitaires?

Témoignage d’une mère de Tokyo réfugiée au Japon de l’ouest suite à l’accident nucléaire de Fukushima

Carte citoyenne de la contamination radioactive du Japon: Tokyo

Yoko Shimosawa vivait avec sa famille de quatre personnes à Tokyo lorsque l’accident nucléaire s’est produit. Elle n’avait absolument aucune connaissance sur le nucléaire, et après l’accident, elle a commencé à faire ses propres recherches. Entre-temps, sa fille de 5 ans, qui était pleine d’énergie, a commencé à se sentir mal. Elle était épuisée et incapable de mener une vie normale.

C’est alors qu’elle a rencontré un médecin. Il s’agissait d’un clinicien qui s’inquiétait de l’exposition aux radiations dans la région de métropolitaine de Tokyo. Il effectuait des analyses de sang sur ses patients. Sur ses conseils, Yoko Shimosawa et sa famille ont évacué et déménagé de Tokyo à Kobe, dans l’ouest du Japon, en 2014. Un mois plus tard, la santé de sa fille s’est miraculeusement rétablie. Le clinicien a également quitté Tokyo pour s’installer dans l’ouest du Japon, de sorte que la famille continue de bénéficier d’examens médicaux et des traitements nécessaires tous les six mois.

Yoko Shimosawa a accepté de participer à ce projet de témoignage filmé afin de faire connaître la réalité des dégâts sanitaires à Tokyo dus aux retombées radioactives de l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi, toujours en cours.

Afin de contextualiser la parole de Yoko Shimosawa, nous pouvons regarder ici la dispersion de l’iode 131 dans l’air entre le 11 et le 31 mars 2011. La modélisation ci-dessous, citée d’une annexe du rapport du l’UNSCEAR 2013 (le Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants), concerne uniquement la dispersion de l’iode 131 dans l’air. Toutefois, d’autres substances radioactives ainsi que des substances chimiques toxiques ont été dispersées depuis la centrale de Fukushima Daiichi. A ce jour, nous n’avons toujours pas la liste complète des substances toxiques dégagées.

Source: Attachment for UNSCEAR 2013 Report Vol. I

Voici la vidéo de 14 min de son témoignage avec les sous-titres français dont la transcription se trouve ci-après.

Vous pouvez regarder d’autres vidéos et des vidéos avec sous-titres en anglais et allemand également sur notre chaîne YouTube Voix des victimes du nucléaire.

Bonjour, je m’appelle Yoko Shimosawa.

Il y a 12 ans, un accident nucléaire s’est produit au Japon. Je fais partie des personnes évacuées à la suite de cet accident. Je veux partager mon expérience et ce que j’ai appris avec le plus grand nombre de personnes possible, y compris outre-mer.

J’ai quitté Tokyo, la capitale du Japon, et j’ai déménagé à Kobe, dans l’ouest du pays, 3 ans après l’accident, il y a 8… non 9 ans.
Pourquoi à l’ouest ? Parce qu’il n’y a pas, ou très peu, de matières radioactives provenant de l’accident dans le sol et dans l’environnement. Cette information n’est pas connue de tout le monde.

Regardez ceci. Le gouvernement japonais n’analyse pas du tout la contamination des terres, mais… Au Japon, les citoyen-ne-s se mobilisent de manière importante, et il existe un livre comme celui-ci qui compile les données collectées par 4000 personnes. Il existe également une version anglaise, n’hésitez pas à la consulter.[1]

Ainsi, vous voyez la carte du Japon. Cette carte, je ne l’ai jamais vue dans les journaux ni à la télévision.
La contamination radioactive se répand ainsi dans tout l’est du Japon. Ceci est la situation au 11 mars 2011. C’est très grave, car chacun de ces points de prélèvement de couleur foncée témoigne d’un niveau de contamination excessif. Les points blancs sont situés du côté de la mer du Japon, mais il y en a très peu dans l’est du pays.

Les endroits en jaune et en couleurs plus foncées sont contaminés à hauteur de 100 becquerels par kg ou plus. Il s’agit du niveau de contamination qui devrait être strictement contrôlé en confinant les matières dans les fûts jaunes, de la même manière que sur le site des centrales nucléaires. Tokyo se trouve par ici. J’ai fui cet endroit.

Au début, j’étais très ignorante et je ne comprenais pas ce qui était si effrayant ni pourquoi tout ce remue-ménage. Parce que le gouvernement et les experts disaient qu’il n’y avait rien à craindre. Aucune inquiétude ! Au moins, il n’y a pas de problème à Tokyo, disaient-ils.

Pour moi, l’accident nucléaire a commencé lentement. Lorsque l’accident s’est produit, j’avais une fille de 5 ans qui adorait jouer dehors et qui était pleine d’énergie. Trois ans après le début de l’accident, ma fille a commencé à dire souvent qu’elle ne se sentait pas bien. Elle a commencé à souffrir de symptômes que je ne comprenais pas, tels que des douleurs aux mains et aux pieds, des douleurs sur tout le corps, et des frissons. Et cela n’a fait qu’empirer. Lorsqu’elle était dans un tel état, elle ne pouvait plus rien faire d’autre que de rester allongée, j’ai rencontré le Dr Shigeru MITA, qui travaillait sur la question de l’exposition aux radiations dans la région métropolitaine de Tokyo. Il m’a conseillé de nous déplacer, et cela a tout déclenché. Il y a quelques années, nous nous sommes réfugié-e-s à Kobe, dans l’ouest du Japon, et un mois plus tard, la santé de notre fille s’est miraculeusement rétablie !

Quelle était la situation à Tokyo ? Voici la métropole de Tokyo. Il s’agit d’une carte datant de 2011. Chaque point est un point de prélèvement de terre. Il devrait être blanc, comme je l’ai dit précédemment, mais les endroits blancs sont vraiment rares. Les habitants de Tokyo étaient contraints de vivre avec une contamination radioactive de plus de 100 becquerels par kg. Il y a une très forte pollution à l’est, comme vous pouvez le voir.

Il existe des contrôles de santé liés aux rayonnements ionisants. Si vous étiez un professionnel de la santé, vous le sauriez. Lorsqu’on étudie les effets des radiations sur le corps, on s’intéresse d’abord au sang : les globules blancs, les globules rouges et les plaquettes.

Il n’y avait qu’un seul médecin qui effectuait les tests en pensant qu’il pourrait y avoir un impact parce que des matières radioactives étaient tombées sur Tokyo. Il s’agissait du docteur Shigeru MITA. En 2011, il a recueilli des données auprès d’habitants de l’ensemble de la région métropolitaine de Tokyo, en leur demandant de se soumettre à ce type de test. Il a recueilli des données sur environ 1200 patients au cours de l’année 2012.

Voici les résultats de l’enquête. Il s’agit des globules blancs et des neutrophiles, classés par âge, de 1 à 5 ans, de 6 à 15 ans, puis de 16 ans et plus. On observe une nette diminution des globules blancs. Parmi eux, les neutrophiles sont très nettement et sévèrement réduits. Par rapport à la valeur de 2011, juste après l’accident, les valeurs sont tombées à environ 60 %. Cet état de fait demeure inchangé à ce jour. Les chiffres actuels montrent que les neutrophiles des enfants de la région métropolitaine de Tokyo ne sont qu’à environ 60 % de leur niveau d’avant l’accident. Mais cette information n’a pas été diffusée, ni même vérifiée ou discutée dans le Japon d’aujourd’hui. Les valeurs de ma fille étaient également très basses.

Les lieux où les enfants étaient atteints d’anomalies au lendemain de l’accident étaient limités aux zones très contaminées. C’est à dire entre 2011 et 2012. Puis ils se sont étendus dans l’ouest de la région. J’habitais ici. Les valeurs de ma fille, mesurées en 2014, s’avéraient aussi très faibles.

Depuis notre déplacement pour éviter l’exposition radioactive, les valeurs des neutrophiles et des globules blancs de ma fille n’ont cessé de s’améliorer. Nous passons une visite médicale tous les 6 mois depuis que nous avons déménagé à Kobe. Le contrôle médical lié à l’exposition s’est donc déroulé à la clinique de Mita, où de nombreux patients venaient de la région métropolitaine de Tokyo. Il y a des personnes qui continuent à faire des contrôles depuis longtemps. Pourquoi ne peuvent-ils pas passer cet examen médical à Tokyo ?

Lorsque nous parlons des effets des radiations à Tokyo, on ne nous prend pas du tout au sérieux. Dans les hôpitaux, les médecins se moquent de nous, nous tournent en dérision ou se mettent en colère contre nous.
Il y a des personnes qui n’ont donc pas d’autre choix que de voyager de Tokyo à Okayama pour se faire examiner à la clinique Mita.

Au cours des examens médicaux, j’ai appris qu’environ 5 ans après le début de l’accident, le nombre de patients très malades avait augmenté. Le syndrome correspond à celui qu’on appelle la maladie de « flânerie » suite à la bombe atomique d’Hiroshima-Nagasaki. Pourquoi la « flânerie » ? Parce que ces personnes sont considérées comme paresseuses. Manque de force, manque de motivation, puis manque de mémoire, ou affaiblissement du système immunitaire. Il s’agit de symptômes d’un malaise général. Il s’agit d’un phénomène commun à toutes les personnes qui ont été exposées à des radiations, par exemple les travailleurs nucléaires ou les personnes exposées aux obus d’uranium appauvri en Irak.  

Mais jusqu’à présent, personne d’autre que le Dr Mita n’avait fait d’étude pour en identifier la cause. Il a examiné la tête. Il a vérifié les hormones dans l’hypophyse. Il a constaté que les hormones associées à la glande pituitaire des personnes symptomatiques ont tendance à être très faibles. L’une d’entre elles, le cortisol, source de l’énergie, présente un déclin très net chez les personnes symptomatiques. En haut, des personnes sans syndrome de capacité diminuée ; en bas, des personnes atteintes du même syndrome. Le schéma de distribution est complètement différent. La valeur chez ma fille est également très basse. Mais même les personnes qui ont le syndrome de capacité diminuée peuvent mener une vie normale en prenant le médicament qui soutient le cortisol.  Il y a environ 100 personnes qui sont de ce cas. En fait, ma fille bénéficie parfois de ce traitement. Elle se porte bien, mais il lui faut ce soutien hormonal de temps en temps.

J’ai rencontré beaucoup de personnes évacuées depuis que je suis ici. De Tokyo où j’ai vécu, et de toute la région métropolitaine de Tokyo. Et bien sûr de la région nord-est du Japon et de Fukushima. Je connais de nombreuses personnes qui ont dû fuir en raison des dégâts sanitaires très répandus sans bénéficier de compensation.

Le gouvernement nous a dit qu’il n’y aurait pas de risque sanitaire immédiat. Mais l’impact a été assez immédiat, et je pense que c’est nous qui avons pu le voir. Mais l’autre partie est la radioactivité. Je pense donc que la véritable histoire que nous allons vivre va commencer à partir de maintenant. Il est sûr et certain que nous ne sommes pas à l’abri d’un risque sanitaire. Parce que les matières radioactives, dont on dit qu’elles sont 168 fois plus importantes qu’à Hiroshima et Nagasaki, ont été dispersées. L’hypothèse de base devrait être qu’il y a des risques sanitaires. Mais le gouvernement n’effectue aucun contrôle médical, aucun test ni aucune vérification.

Au lieu de cela, on fait de la propagande en disant que les radiations sont sans danger. Une campagne nationale a été lancée pour dénoncer le fait que parler des risques de radiations constitue un obstacle à la reconstruction, qu’il s’agit d’une pratique discriminatoire envers la population de Fukushima, etc. Dire que les rayonnements sont sans risques rend tout à fait impossible la protection des personnes contre ce que l’on appelle l’exposition interne aux rayonnements.

L’environnement a été contaminé. Nous devons considérer, non pas l’exposition externe, mais l’exposition qui vient de l’intérieur de notre corps suite à l’intégration des matières radioactives par inhalation, ingestion et par la peau.
C’est ça qui est caché. On nous empêche de le voir. Les yeux sont bandés. Mais les bandeaux sur les yeux ne font pas disparaître le problème. Les substances radioactives absorbées qui abîment nos corps et ceux de nos enfants ne disparaissent pas simplement parce que nous en ignorons l’existence.

Mais si vous répétez un mensonge cent fois, il devient une vérité. Mais on ne peut pas effacer la réalité.
En tant que victime de l’accident, je tiens à dénoncer cet état de fait. L’essence de ce qui se passe…, l’essence même d’un accident nucléaire est un risque sanitaire. Nous ne voulons pas l’accepter.

Ce qui est en train de se faire sur une grande échelle dans le temps et dans l’espace, ce n’est autre qu’une violation des droits de l’homme. Je n’ai pas vécu et je ne vis pas sous ce qu’on appelle l’énergie nucléaire pour faire la promotion de l’atome.

J’aimerais entrer en contact avec des personnes du monde entier qui ont été exposées à des radiations, et dénoncer cette exposition interne et ses dangers sanitaires. Et nous voulons retrouver nos vies.

Je veux être en contact avec vous.

Merci de m’avoir écoutée.


[1] Version française disponible ici : https://boutique.sortirdunucleaire.org/index.php?id_product=589&controller=product&search_query=Fukushima&results=29

L’ordre d’évacuation sera bientôt levé : est-il sans risque d’y vivre ?

Témoignage

Le 31 mars 2023, une partie du village de Tsushima, un des lieux les plus contaminés suite à l’accident de Fukushima Daiichi, va rouvrir au public et surtout aux personnes qui souhaitent y retourner. Pourtant, il n’y a presque aucune infrastructure pour soutenir la vie quotidienne. Dans ce lieu où il n’y a presque personne, des voleurs rôdent. Et surtout, où en est-on avec la radiation et le risque sanitaire ?

Mizue KANNO, qui a été évacuée et qui habite dans le Japon de l’ouest maintenant, décrit la réalité de Tsushima et ce que signifie l’accident nucléaire.

Nous vous présentons ici le premier d’une série de messages de Mizue Kanno que nous allons publier sur la chaîne YouTube: Voix des victimes du nucléaire.

Afin de situer son propos par rapport à la contamination environnementale, voici la vidéo de l’évolution de la contamination radioactive du sol sur 100 ans préparée par Minna-no Data Site, un réseau bénévole de laboratoires de mesure de radioactivité. Ce réseau a publié Atlas citoyen des données de radioactivités sur 17 départements du nord-est du Japon. Un résumé en français, Carte citoyenne de la contamination radioactive du Japon est disponible ici.

La position de village de Tsushima est montrée par la flèche pour le repérer dans la vidéo.

A regarder aussi l’entretien de Bruno Chareyron, directeur du laboratoire de la CRIIRAD, dont l’association Nos Voisins Lointains 3.11 a créé une version courte sur le thème de Fukushima sous-titrée en japonais, grâce à l’accord de Philippe de Rougement de Sortir du Nucléaire Suisse Romande.
Bruno Chareyron parle de la contamination environnementale, de la carte prédictive dont la version vidéo est montrée ci-dessus, et de la politique de retour du gouvernement japonais. Regardez surtout entre 23 min et 30 min.

A regarder également l’interview de Mme Mizue Kanno par Mme Ruiko Muto avec les sous-titres en français dans le cadre du projet Mieruka Fukushima de FoE Japon.

Rejeter du tritium dans l’environnement, est-ce un problème ?

Sonia Marmottant

Le tritium est l’élément radioactif le plus rejeté en fonctionnement dit « normal » par les centrales et autres installations nucléaires dans le monde, et ces rejets sont en forte augmentation. Il est rejeté aussi en grande quantité lors des accidents nucléaires. Les eaux contaminées stockées autour des réacteurs accidentés de Fukushima contiennent surtout du tritium. Le Japon a prévu de rejeter cette eau radioactive dans l’océan Pacifique.

Peut-on faire confiance à l’industrie nucléaire et aux organismes officiels de radioprotection qui considèrent le tritium comme quasi inoffensif ?


I. Qu’est-ce que le tritium ?

Le tritium (T) est une forme radioactive de l’hydrogène[1].

L’hydrogène (H) est un constituant essentiel de la matière, notamment de l’eau (H2O) et des tissus organiques.

Le tritium est actuellement produit soit par le rayonnement cosmique (origine naturelle), soit par les installations nucléaires, qui le rejettent dans l’environnement sous forme d’eau tritiée (HTO), liquide ou gazeuse. Il est très difficile de le piéger et filtrer.

Tous les 12 ans environ, la moitié des atomes de tritium initialement rejetés « transmutent » : ils émettent un rayonnement[2] et deviennent des atomes d’hélium.

II. Notes de lecture tirées du Livre blanc du tritium (recueil publié par l’Autorité de Sûreté Nucléaire en2008[3]) :

1) Origine du tritium :

La majeure partie du tritium actuellement présent sur Terre a été produite lors des essais atomiques atmosphériques, de 1945 à 1963. Actuellement il y aurait encore environ 5 fois[4] plus de tritium issu des essais atomiques que de tritium d’origine naturelle dans l’environnement.

Localement, l’impact des installations nucléaires est plus important que les retombées des essais atomiques. Si le réacteur à fusion ITER était mis en service il utiliserait à lui seul chaque année 6 fois plus de tritium que n’en produit le rayonnement cosmique ! Actuellement, l’installation qui rejette le plus de tritium au monde est l’usine de retraitement de La Hague : elle rejette à elle seule autant de tritium liquide que l’ensemble des réacteurs nucléaires du monde entier[5].

2) Impact sanitaire du tritium

Le tritium est dangereux pour les êtres vivants lorsqu’il est intégré à la matière organique, c’est-à-dire lorsqu’il prend la place d’un atome d’hydrogène stable dans une molécule organique. En effet, le rayonnement émis par le tritium est concentré sur une très courte distance. Il ne passe pas la barrière de la peau mais cause des dommages importants à l’intérieur des cellules, notamment s’il touche l’ADN. Par ailleurs lorsque le tritium incorporé à une molécule organique se transforme en hélium, cela brise les liaisons atomiques et crée des radicaux libres au sein des cellules, qui sont eux-mêmes toxiques.

Les doses calculées selon la méthode classique actuellement en vigueur pourraient conduire à une estimation incorrecte du risque, puisque cette méthode repose sur le concept de dose moyenne à l’organe. Or, lorsque le tritium est incorporé au noyau des cellules, la dose à l’organe est hétérogène : elle est maximale à l’intérieur du noyau des cellules. Le tritium peut causer des dommages multiples à l’ADN. Ces dommages, difficilement réparables, conduisent plus souvent soit à une mutation, soit à la mort de la cellule. Ainsi le tritium est plus dangereux que – par exemple – le Carbone 14 lorsqu’il se trouve dans le noyau cellulaire.

Chez l’adulte comme chez le foetus, l’eau tritiée (HTO)  bue ou inhalée est rapidement transférée dans le sang ; 97% restent sous forme HTO, tandis que 3% incorporent les molécules organiques, formant ce qu’on appelle du « tritium organiquement lié » (TOL). Chez la femelle enceinte (études sur animaux), les proportions sont de 90 et 10%.

Il ne faut que quelques secondes pour que 99% du tritium (HTO) inhalé soit retenu dans le corps, où il diffuse en quelques minutes à travers toutes les membranes cellulaires. L’absorption transcutanée du tritium au contact de la peau est équivalente. L’eau tritiée ingérée passe en quelques minutes dans le sang et les divers organes, fluides et tissus du corps.

Chez l’adulte le TOL ingéré passe à 50% dans le sang (le reste est transformé en HTO via la digestion).

Chez l’adulte le TOL est majoritairement incorporé dans les tissus à renouvellement rapide, alors que pour l’embryon il se retrouve dans tous les tissus.

HTO est éliminé en 10 jours environ.

Le TOL, selon la rapidité de renouvellement du composé organique où il se trouve, est éliminé avec une période variant fortement, de 1 à plus de 400 jours[6].

Selon les études, le TOL serait de 2 à 40 000 fois plus nocif que HTO[7]

Par ailleurs, pour une même dose, une exposition étalée dans le temps pourrait avoir un impact plus important qu’une exposition ponctuelle. Les très faibles doses sont encore plus délétères.

Lors d’une exposition de courte durée, l’incorporation de tritium dans les molécules organiques est faible et l’essentiel de la dose est due à HTO. Dans le cas d’une exposition étalée dans le temps, le pourcentage de TOL dans l’organisme (animal ou plante) augmente jusqu’à 20 à 70% en raison du taux d’élimination plus faible du TOL.

Une corrélation a été montrée entre exposition pendant la grossesse au tritium et augmentation de la mortalité néonatale, des anomalies du système nerveux, du syndrome de Down (trisomie 21).

Il y a affinité du tritium pour les gamètes (femelles en particulier – études chez l’animal), le cerveau, le système vasculaire, cardiovasculaire et respiratoire, le squelette.

3) Contamination de l’environnement par le tritium

Le tritium peut se retrouver dans les molécules organiques à l’occasion de la photosynthèse chez les plantes, de la biosynthèse des molécules chez les animaux, ou lors d’échanges d’hydrogène avec le milieu ambiant.

Pour les plantes, HTO est incorporé en quelques minutes ou heures. La fraction d’hydrogène convertie en matière organique est de 0,06 à 0,3% pour les plants en développement. Au final l’hydrogène représente 5 à 10% de la matière sèche. Fruits et tubercules stockent davantage le TOL que les feuilles.

Pour les bactéries il y a aussi transformation d’HTO en TOL, ce qui expliquerait la prédominance du TOL dans l’environnement, alors que les rejets sont essentiellement en HTO.

4) Exposition au tritium dans l’environnement, le cas des milieux aquatiques.

Des publications anciennes (années 70 et 80)[8] suggèrent que le tritium s’accumule dans certaines chaines alimentaires aquatiques et que l‘exposition liée à la chaine alimentaire est donc plus importante que l’exposition directe à l’eau tritiée.

Au large de Sellafield[9], des concentrations relativement élevées de TOL ont été observées : la faune marine contient 10 à 20 fois plus de tritium (HTO et TOL) que l’eau de mer[10]. Les concentrations sont 10 fois plus élevées dans les poissons que dans les algues, pour lesquelles il semble y avoir peu ou pas de bioaccumulation.

A d’autres endroits, lorsque les rejets des industries sont directement en TOL, les concentrations dans la faune sont jusqu’à plusieurs milliers de fois plus importantes que la concentration dans l’eau environnante (maximum observé : 20 000 fois).

La convention OSPAR[11] recommande de faire tendre les concentrations de particules radioactives vers leurs niveaux naturels[12]. Cependant, comme il n’y a pas de technique économiquement viable pour réduire la présence de tritium dans les rejets liquides provenant des centrales, le tritium est exclu de la convention OSPAR de réduction des rejets.

La concentration maximale en tritium dans l’eau potable recommandée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est de 10000 fois le niveau naturel[13].

En France, à Goury, près de l’usine de retraitement du combustible de la Hague, il a été mesuré dans l’eau de mer une concentration en tritium allant jusqu’à plus de 200 fois le niveau naturel[14]. L’impact de l’usine se fait ressentir sur des centaines de kilomètres le long des côtes de la Manche, au Nord et au Sud du Cotentin, avec une concentration de tritium dans l’eau de mer près de côtes supérieure à 70 fois le niveau naturel[15].

Dans l’eau du Rhône, des mesures ont trouvé une présence de tritium jusqu’à plus de 15 fois supérieure au niveau naturel[16]. La concentration en tritium dans les poissons est 2 à 20 fois plus grande que celle de l’eau. Dans le Delta du Rhône, les moules ont des concentrations en tritium 5 à 100 fois plus grandes que l’eau.

La concentration en tritium du lait de vache est 10 fois plus importante lorsque la contamination est liée à l’herbe que lorsqu’elle vient de l’eau consommée. Le veau allaité est alors 15 fois plus contaminé[17].

Sonia Marmottant, 2023.


[1] Radioactivité du tritium : 358 TBq par gramme (1 Bq = 1 désintégration par seconde ; 1 TBq = mille milliards de becquerels). Demi-vie du tritium = 12,3 ans. En comparaison : Iode 131 : 4600 TBq.g-1 ; Corps humain : 0,1 Bq.g-1 ; Granite : 1 à 4 Bq.g-1.

[2] Ce rayonnement prend la forme de l’émission d’une particule bêta (un électron). Le tritium est un émetteur bêta de faible énergie : contrairement à ce qu’on pourrait croire, son efficacité biologique est plus grande que celle des rayonnements d’énergie supérieure.

[3] http://www.asn.fr/sites/tritium/#90/z

[4] Chiffre actualisé par rapport aux données de 2008.

[5] En 2008, cela représentait 20 000 TBq/an. [En 2021, l’eau contaminée stockée à Fukushima contenait environ 900 TBq de tritium, entre autres radionucléides – NDLR].

[6] Chez l’homme la demi-vie du TOL dans le cartilage des côtes est de 57 ans, et 6 ans pour le sternum.

[7] Livre Blanc du Tritium, p. 252, in « Les effets biologiques et sanitaires du tritium : questions d’actualité » (article collectif) : « L’efficacité biologique du tritium apparaît extrêmement variable selon les composés et les effets étudiés, […] 2 à 104 pour la thymidine tritiée selon les composés étudiés » (§ 2.2) ; « Les résultats disponibles font apparaître une toxicité de la forme liée OBT supérieure à celle de l’eau tritiée : dose engagée au foie deux fois plus élevée après ingestion de nourriture tritiée qu’après consommation d’eau tritiée […], toxicité augmentée d’un facteur 10 à 104 chez les rongeurs quand le tritium est lié à certaines molécules » (§ 3.1). P. 247 in « TOL et noyau de la cellule, un problème encore négligé ? » (Wolfgang-Ulrich Müller, Institut für medizinische Strahlenbiologie, Universitätsklinikum Essen) : « Pour les mêmes activités utilisées, la thymidine tritiée était 1000 fois plus efficace que l’eau tritiée […] et quelques acides aminés plus de 40 000 fois ».

[8] Relativement peu de données sont disponibles, faute d’études !

[9] Royaume-Uni, lieu où se trouve une usine de retraitement des combustibles nucléaires, qui rejette de l’eau tritiée.

[10] La concentration moyenne est de 100 Bq/kg frais. Pour les poissons plats et les moules, la concentration est de 100 à 200 Bq/kg frais.

[11] La Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est ou Convention OSPAR (OSPAR pour « Oslo-Paris ») définit les modalités de la coopération internationale pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du nord-est. Elle est entrée en vigueur le 25 mars 1998. NDLR

[12] Avant les essais atomiques, la concentration en tritium était de 0,6 Bq/l dans l’eau de pluie, de 0,3 à 0,8 Bq/l dans les fleuves, et inférieure à 0,1 Bq/l dans les océans.

[13] Soit 10000 Bq/l.

[14] Soit plus de 20 Bq/l.

[15] Soit plus de 7 Bq/l.

[16] Soit de 2 à 15 Bq/l.

[17] Les pâturages et prés de fauche proches des rivages sont contaminés par différents phénomènes liés au cycle de l’eau. NDLR

Free Download: Fukushima 3.11

Graphic history in English, French and German
Histoire graphique en français, anglais et allemand

Français

Les pages de cette bande dessinée sont parues dans le n°15 de la revue TOPO (janvier/février 2019). Elles ont été réalisées à partir du témoignage de Suguru Yokota, recueilli dans le cadre du projet de recherche « DILEM » du CNRS.

Suguru, le garçon qui avait 15 ans lorsqu’il fut interviewé pour la première fois, est originaire de la ville de Koriyama, qui se situe en dehors des zones d’évacuation par l’ordre. Les déplacé-e-s de ces territoires sont appelés les « évacué-e-s volontaires » ou « auto-évacué-e-s » par rapport aux évacué-e-s forcé-e-s, et sont souvent les cibles de critiques et de brimades, puisqu’ils ont osé prendre la décision de partir, alors que le gouvernement n’avait pas donné l’ordre d’évacuer.

English

This graphic story was first published in the magazine TOPO, No.15 (Jan/Feb 2019). It is based on the story of Suguru, collected in a research project of the French National Centre for Scientific Research. This graphic novel is presented by the NGO Nos Voisins Lointains 3.11 (Our Distant Neighbors 3.11) based in Grenoble, France, which promotes cooperation with victims of the Fukushima Daiichi nuclear accident.

Suguru, the boy who was 15 years old when he was first interviewed, is from Koriyama town, which is outside the mandatory evacuation zones. The evacuees from these territories are called “voluntary evacuees” or “auto-evacuees” in comparison with the forced evacuees, and are often the targets of criticism and bullying, since they have dared make the decision to leave, even though the government had not given them an evacuation order.

Deutsch

Die Seiten dieses Comics erschienen in der Nr. 15 der Zeitschrift TOPO (Januar/Februar 2019).

Sie wurden anhand der Zeugenaussage von Suguru Yokota realisiert, die im Rahmen des Forschungsprojekts « DILEM »des CNRS gesammelt worden war. Dieser Comic wird von dem Verein « Nos Voisins Lointains 3.11 » zur Verfügung gestellt, der Kooperationen mit Opfern des Atomunfalls in Fukushima Daiichi unterstützt.

Message from Ruiko MUTO

Yosomono-Net, Worldwide anti-nuke association of Japanese people living abroad and their sympathizers, publishes here the message of Ruiko Muto, anti-nuclear activist from Fukushima and Representative of plaintiffs in the TEPCO criminal trial against three ex-executives of TEPCO.

Message de Ruiko MUTO

Comme chaque année au mois de mars, Yosomono-Net, Réseau international de ressortissants japonais pour la sortie du nucléaire, publie ici le message de Ruiko Muto, militante anti-nucléaire de Fukushima et déléguée de la partie plaignante au procès pénal intenté contre trois ex-dirigeants de TEPCO.

Voix des victimes du nucléaire:

Notre nouvelle chaîne YouTube

Où sont les voix des victimes du nucléaire ? Cela devient de plus en plus difficile de les entendre. Dans le déni des conséquences néfastes des usines atomiques, on tente, par exemple, de réduire les dégâts des accidents nucléaires et plus généralement le risque nucléaire au seul nombre de morts.
Dans le contexte de la relance du nucléaire en France et au Japon, il nous semble important de revenir sur le terrain et d’écouter les voix des victimes.
Dans cette série, l’association Nos Voisins Lointains 3.11 propose de diffuser leurs voix avec les sous-titres en français. Nous ne nous limitons pas aux victimes de l’accident nucléaire de Fukushima, mais nous allons présenter plus largement les paroles des victimes de tous usages nucléaires, militaires ou civils.
Nous espérons que le courage et la persévérance de ces personnes permettront de porter au loin les voix de Cassandre perçant la malédiction de la puissante industrie nucléaire et des pouvoirs politiques qui la soutiennent.

Le premier message vidéo est celui d’Akiko MORIMATSU.
Suite au grand tremblement de terre et à la catastrophe nucléaire de Fukushima, elle s’est déplacée de Fukushima à Osaka avec ses deux enfants âgés de 5 mois et 3 ans, laissant son mari qui avait décidé de continuer à travailler à Fukushima.
Elle est coprésidente de la coordination nationale des groupes de plaignants des procès intentés par des victimes de l’accident nucléaire de Fukushima, et représentante du groupe de plaignants dans la région métropolitaine d’Osaka. Elle donne des conférences au Japon et à l’étranger pour défendre les droits des victimes d’accidents nucléaires.
En 2018, elle a fait un discours au Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève.

Voici la transcription des sous-titres:

Bonjour
Je m’appelle Akiko MORIMATSU.

Le grand tremblement de terre du 11 mars 2011 à l’est du Japon a été suivi de l’accident nucléaire de TEPCO Fukushima Daiichi.
Que nous est-il arrivé à nous, habitant-e-s de Fukushima? Quels dommages ont subis les habitant-e-s proches de la centrale ? J’aimerais vous en parler de manière concrète.

Le 11 mars 2011, j’habitais Koriyama, ville du département de Fukushima, située à environ 60km de la centrale de Fukushima Daiichi. Nous étions quatre. Moi, mon mari et deux enfants. Une fille de 5 mois et un garçon de 3 ans.

Avant tout j’aimerais vous dire que, quand l’accident nucléaire survient, quel que soit notre âge et notre sexe, que nous soyons pour ou contre le nucléaire, toutes et tous, nous sommes confronté-e-s au problème de l’exposition à la radioactivité.
Les radiations sont invisibles et incolores. On ne sent ni douleur ni picotements sur la peau. Et il y a la question de l’exposition aux radiations à faible dose. A une distance importante, vous êtes exposé-e à de faibles doses de radiations. Outre que les radiations ne peuvent être perçues par les sens, les gens ne meurent pas instantanément.

Dans ce contexte, nous, habitant à 60km de la centrale, nous avons perdu notre foyer suite au grand tremblement de terre, puis après cette catastrophe naturelle, nous avons subi un désastre d’origine humaine : l’accident nucléaire.
Bien entendu, nous n’avons pas entendu les explosions de la centrale nucléaire, ni vu directement les bâtiments de la centrale endommagés. Nous avons appris l’accident seulement à travers les actualités à la télé. A part ça, il n’y avait aucun moyen de savoir qu’un accident avec les explosions a eu lieu. Aucun moyen de savoir la situation exacte de la centrale de Fukushima Daiichi, ni à quelle quantité de radiations nous allions être exposé-e-s. Nous ne savions pas quelle quantité de radiations nous devions subir. Car ni les autorités de l’État ni l’opérateur TEPCO n’ont diffusé les informations nécessaires et précises. Nous, les habitant-e-s près de la centrale, nous avons dû prendre beaucoup de décisions dans cette ignorance.

Je vais vous parler de la chose la plus difficile que j’aie eue à faire, dans ces 12 dernières années depuis l’accident. Suite aux explosions de la centrale nucléaire, nous étions bien au courant des explosion… Mais nous qui étions à 60 km de la centrale, nous n’avons pas été évacué-e-s par force. A part l’ordre d’évacuation, il y avait aussi l’ordre de confinement. Progressivement, dans un rayon de 2 km, puis de 3 km autour de la centrale nucléaire, la population a été évacuée par force. La zone circulaire d’évacuation s’est étendue progressivement. Et de 20 à 30 km de la centrale, il y a eu l’ordre de confinement, de rester enfermé chez soi. C’était l’ordre donné par le gouvernement. Mais nous, à 60 km, n’avons pas reçu l’ordre de confinement. Nous n’avons pas été évacué-e-s non plus. Nous avons été laissé-e-s à notre sort sans aucune protection.

Dans cette situation, j’ai appris par la télé que l’eau du robinet, l’eau potable, était contaminée. La première information que j’ai eue, concernait l’eau du robinet de Kanamachi à Tokyo. On avait trouvé des substances radioactives dans ces eaux. C’était aux actualités télévisées.
La station de traitement des eaux de Kanamachi était à 200 km de la centrale de Fukushima Daiichi. Nous étions seulement à 60 km de la centrale. Dans le rayon de 200 km, la radioactivité a augmenté, et avec la pluie des substances radioactives ont contaminé l’eau potable. Puisque l’eau du robinet à 200km de la centrale était contaminée, l’eau à 60km devait être forcément contaminée. Nous avons donc appris la contamination radioactive de nos eaux potables à travers les informations télévisées.

Jusque-là, on savait que des matières radioactives s’étaient dispersées, mais à 60km, on n’a eu ordre ni d’évacuer ni de se confiner. On a eu des déclarations répétées du Cabinet du premier ministre, disant qu’il n’y aurait pas d’impact immédiat sur la santé. La question de l’exposition était bien dans nos préoccupations. Mais quand j’ai su que l’eau de Tokyo était contaminée, et que l’eau de Fukushima l’était aussi, j’ai réalisé que je buvais de l’eau radioactive à mon insu. Mais, même après avoir appris ce fait, j’ai dû continuer à boire cette eau. Et mes deux enfants de 5 mois et 3 ans aussi. Ma fille de 5 mois s’accrochait à la vie grâce au lait maternel, d’une mère qui buvait de l’eau contaminée.

Nous avons aussi appris par les journaux télévisés, qu’il y avait eu des retombées radioactives énormes dans Fukushima et aux alentours, que les expéditions de légumes à feuilles étaient suspendues, que les agriculteurs allaient perdre leur moyen de subsistance, et qu’il y avait eu des suicides d’agriculteurs désespérés. Ils avaient perdu tout espoir dans l’avenir de leur métier. Tout cela, nous l’avons appris par la télé.
Nous avons ainsi appris qu’il y avait réellement contamination radioactive. J’ai appris que les éleveurs avaient trait le lait des vaches, mais comme l’expédition n’était plus possible, ils avaient dû déverser le lait dans les champs.
En tant que mère allaitant à Fukushima, j’ai pensé que nous étions aussi mammifères comme les vaches. Nous, humains, étions aussi exposés à des doses élevées de radioactivité dans l’air, et nous avons dû boire de l’eau du robinet, tout en sachant qu’elle était polluée.
J’ai entendu parler de la concentration biologique. Le lait était encore plus radioactif que l’eau. C’était pour cela que le lait devait être jeté. Or, moi, qui buvais de l’eau radioactive, j’allaitais ma fille de 5 mois, et mon lait concentrait la radioactivité.

Je ne voulais pas être moi-même exposée aux radiations, et bien sûr, je ne voulais pas que mon enfant de 5 mois soit exposé aux radiations. Mais nous étions totalement privées du droit de choisir. Surtout, un bébé ne peut pas dire qu’il ne veut pas boire de lait maternel parce qu’il est contaminé. Mon enfant de 3 ans m’apportait un verre quand il avait soif, en disant « maman, donne-moi un verre d’eau ». Tout en sachant que l’eau du robinet était contaminée, j’ai été obligée de lui donner cette eau.

Telle est l’expérience que j’ai vécue.
La volonté d’éviter l’exposition, le droit d’éviter l’exposition, ce sont des droits fondamentaux pour protéger la vie. Leur violation est le plus grave de tous les dommages causés par l’accident nucléaire. Je pense que ce problème devrait être au cœur du débat sur le nucléaire.

Je ne suis pas seule à avoir donné de l’eau empoisonnée à mes enfants. Beaucoup de personnes vivant dans cette région touchée par la catastrophe nucléaire ont eu les mêmes expériences.
Pour éviter de reproduire ces expériences et pour définir la politique de radioprotection, je voudrais que vous réfléchissiez tous ensemble aux dommages réels causés par un accident nucléaire, en commençant par savoir si vous pouvez boire de l’eau contaminée par la radioactivité. Je pense que cela mènerait naturellement à une conclusion.

Le dommage le plus grave que j’ai subi suite à l’accident nucléaire est d’avoir été soumise à une exposition aux radiations non choisie et qui était évitable.
C’est le dommage le plus grave sur lequel je souhaite vivement attirer votre attention.

Voices of Nuclear Victims

Our new YouTube channel

Where are the voices of nuclear victims? It is becoming increasingly difficult to hear them. In denial of the harmful consequences of atomic plants, there is an attempt, for example, to reduce the damages of nuclear accidents and more generally the nuclear risk to the mere number of deaths.

In the context of the revival of nuclear power in France and Japan, it seems important to us to return to the field and listen to the voices of the victims.

In this series, the NGO Nos Voisins Lointains 3.11 (Our Faraway Neighbours 3.11) proposes to broadcast their voices with English subtitles. We are not presenting only the voices of the Fukushima nuclear accident victims, but also more widely the words of the victims of all nuclear uses, military or civil.

We hope that the courage and perseverance of these people will allow the voices of Cassandra to be heard far and wide, piercing the curse of the powerful nuclear industry and the political powers that support it.

The first video message is from Akiko MORIMATSU.
Following the Great Earthquake and nuclear disaster in Fukushima, Akiko Morimatsu moved from Fukushima to Osaka with her two children aged 5 months and 3 years, leaving her husband who decided to continue working in Fukushima.
She is the co-chair of the national coordination of the plaintiffs’ groups of the lawsuits filed by victims of the Fukushima nuclear accident, and the representative of the plaintiffs’ group in the Osaka metropolitan area. She lectures in Japan and abroad to defend the rights of nuclear accident victims.
In 2018, she gave a speech at the United Nations Human Rights Council in Geneva.

Here is the transcription of the subtitles:

Hello

My name is Akiko MORIMATSU.
The Great East Japan Earthquake of March 11, 2011 was followed by the TEPCO Fukushima Daiichi nuclear accident.
What happened to us, the residents of Fukushima?
What damage did the people living near the plant suffer?
I would like to tell you about it in a concrete way.

On March 11, 2011, I was living in Koriyama, a town in Fukushima Prefecture, located about 60 km from the Fukushima Daiichi plant. There were four of us. Me, my husband and two children. A 5-month-old girl and a 3-year-old boy.
First of all, I would like to tell you that when a nuclear accident occurs, regardless of our age or sex, whether we are for or against nuclear power, we are all confronted with the problem of exposure to radioactivity.

Radiation is invisible and colourless. There is no pain or tingling on the skin.
And there is the issue of low-dose radiation exposure. At a great distance, you are exposed to low doses of radiation. Besides the fact that radiation cannot be perceived by the senses, people do not die instantly.

In this context, we, living 60km from the plant, lost our home in the Great Earthquake, and then after this natural disaster, we suffered a man-made disaster: the nuclear accident.
Of course, we did not hear the explosions at the nuclear power plant, nor did we see the damaged plant buildings directly. We only learned about the accident through the news on TV. Apart from that, there was no way to know that an accident with explosions took place. There was no way of knowing the exact situation of the Fukushima Daiichi plant, nor how much radiation we would be exposed to. We didn’t know how much radiation we had to endure, because neither the state authorities nor the operator TEPCO provided accurate information. We, the people living near the plant, had to make many decisions in this ignorance.

I’m going to tell you about the most difficult thing I have had to do in the last 12 years since the accident. After the explosions at the nuclear power plant, we were well aware of the explosions… But we, who were 60 km away from the plant, were not evacuated by force. Apart from the evacuation order, there was also a confinement order. Gradually, within a radius of 2 km, then 3 km around the nuclear power plant, the population was forcibly evacuated. The circular mandatory evacuation zone gradually expanded. And from 20 to 30 km from the power plant, there was the order to stay indoors. That was the order given by the government. But we, 60 km away, did not receive the confinement order. We were not evacuated either. We were left on our own without any protection.

In this situation, I learned from the TV that the tap water, the drinking water, was contaminated. The first information I got was about the tap water in Kanamachi in Tokyo. They had found radioactive substances in the water. It was on a television program.
The Kanamachi water treatment plant was 200 km from the Fukushima Daiichi plant. We were only 60 km from the plant. Within the 200 km radius, the radioactivity increased, and with the rain radioactive substances contaminated the drinking water. Since the tap water at 200 km from the plant was contaminated, the water at 60 km had to be contaminated without any doubt. So, we learned about the radioactive contamination of our drinking water from the TV news.

Up to that point, it was known that radioactive material had been dispersed, but at 60km, there were no orders to evacuate or to stay indoors. There were repeated statements from the Prime Minister’s Office that there would be no immediate impact on health. The issue of exposure was indeed on our minds. But when I found out that the water in Tokyo was contaminated, and that the water in Fukushima was also contaminated, I realised that I was unknowingly drinking radioactive water. But even after learning this fact, I had to continue drinking the water. And so did my two children, aged 5 months and 3 years. My 5-month-old daughter was clinging to life through breast milk from a mother who was drinking contaminated water.

We also heard on the news that there had been a huge radioactive fallout in and around Fukushima, that shipments of leafy vegetables had been suspended, that farmers were going to lose their livelihoods, and that there had been suicides of desperate farmers. They had lost all hope in the future of their profession. All this we heard on TV.

So, we learned that there really was radioactive contamination. I learned that the farmers had milked the cows, but since shipping was no longer possible, they had to dump the milk in the fields.
As a nursing mother in Fukushima, I thought that we were also mammals like the cows. We humans were also exposed to high doses of radioactivity in the air, and we had to drink tap water, knowing that it was polluted.
I heard about the biological concentration. Milk was even more radioactive than water. That’s why the milk had to be thrown away. Yet I was drinking radioactive water, I was breastfeeding my 5-month-old daughter, and my milk concentrated the radioactivity.

I didn’t want to be exposed to radiation myself, and of course I didn’t want my five-month-old child to be exposed to radiation. But we were totally denied the right to choose to refuse exposure. Above all, a baby can’t say she doesn’t want to drink breast milk because it is contaminated. My three-year-old son brought me a glass when he was thirsty, saying « mummy, give me a glass of water ». Knowing that the tap water was contaminated, I was obliged to give him this water.

This is my experience.
The will to avoid exposure, the right to avoid exposure, are fundamental rights to protect life. Their violation is the most serious of all the damages caused by the nuclear accident. I think this issue should be at the heart of the nuclear debate.

I am not the only one who gave poisoned water to our children. Many people living in the area affected by the nuclear disaster had the same experience.
In order to avoid repeating these experiences and to improve the radioprotection policy, I would like you all to think together about the real damage caused by a nuclear accident, starting with whether you can drink radio-contaminated water. I think that this would naturally lead to a certain conclusion.

The most serious damage I suffered from the nuclear accident was that I was subjected to radiation exposure that was not chosen and was avoidable.
This is the most serious damage to which I would strongly like to draw your attention.